lundi 30 novembre 2009

Marché et volcan

5h30, Bali se réveille avec le jour qui paraît. Après une nuit peu reposante et une douche casserole revigorante, je m'installe sur la terrasse de la chambre face au bassin et ses fougères arborescentes, pour mettre à jour mon carnet de route en attendant le petit déjeuner.

 La propriétaire est prête pour partir au marché malgré la courte nuit que sa famille et elle ont dû passer en allant nuitamment porter des offrandes et prier au temple le plus important de Bali, Pura Besakih, dans le but d'y célébrer la fin de "Galungan" par "Kuningan", fêtes hindouistes consacrées aux dieux et à l'esprit des ancêtres. Ce temple "mère" qui accueille les cérémonies majeures est situé à 1000m d'altitude sur les flancs du Gunung Agung à une bonne cinquantaine de kilomètres d'Ubud. Sans doute nous y rendrons-nous dans les jours qui viennent.
 La dame est revenue avec son panier rempli de provisions pour les locataires. Un employé nous apporte sur un plateau une assiette avec un "telur mata sapi" (oeuf sur le plat) sur deux tranches de pain de mie rôties au beurre et une copieuse assiette de morceaux de fruits (ananas, papaye, banane) pour chacun. La boisson est à la demande : thé ou café.
Vers 8 heures, nous partons au marché tout proche. Les femmes tiennent le lieu ; les plus jeunes, souvent enceintes, tiennent les boutiques de tissus, vêtements, objets d'artisanat local et les plus âgées  sont occupées à vendre des produits frais tels les ingrédients nécessaires à la confections d'offrandes, des légumes, des fruits, des épices, etc.

Le temple qui jouxte le "pasar" est déjà bien garni de ces petits plateaux en feuilles de palmier tressées quotidiennement, inlassablement, soigneusement, pour recueillir fleurs et grains de riz à offrir aux divinités dans le but de les remercier ou d'obtenir leurs faveurs tout au long de la journée. Ce sont des offrandes simples, de la taille d'un livre, qui jonchent le sol, les murets, les socles de statues à l'inrérieur des temples mais pas seulement (il arrive que l'on marche dessus dans la rue). En général, des bâtons d'encens se consument lentement sous les offrandes et leur odeur caractéristique se répand, donnant à l'air ambiant une senteur mystique et pénétrante.
Aller tôt au marché permet de discuter les prix que les commerçants sont plus facilement disposés à baisser pour augurer une "bonne journée". Si vous faites affaire, la liasse de billets que vous donnerez ira "bénir"  de la main de votre vendeur les marchandises exposées à la vente dans un geste rituel plein de promesses bénéficiaires.

Après avoir bien "tourné" dans le marché, nous en repartons avec quelques achats : petits dessins à thèmes classiques, topeng (masques) et corbeilles à fruits "télescopiques". La matinée bien avancée, une chaleur étouffante nous guide vers la sortie. Le petit temple voisin croule sous les offrandes que continuent de déposer les marchandes du pasar.
Nous allons changer quelques euros et entrons dans une librairie acheter une carte récente de Bali. En entrant dans le magasin, je ne peux m'empêcher d'apprécier à voix haute la fraîcheur apportée par la climatisation.
Les balinais sont de véritables artistes et même si l'on peut regretter la prolifération d'objets décoratifs standardisés en tout genre et de qualité douteuse, certaines boutiques offrent encore des oeuvres qualitativement intéressantes.
Nous voilà de retour à Wena homestay ; là aussi les femmes de la maison sacrifient au cérémonial des offrandes sur des autels répartis çà et là dans l'enceinte de la maison. Des fleurs de frangipanier disposées sur le bord du bassin accueillent élégamment les pensionnaires.
L'examen d'une des corbeilles à fruits achetée révèle un défaut ; retour au "pasar" pour un échange qui ne posera aucun problème.
Nous prenons la voiture, direction Goa Gajah, c'est du moins ce que je pense : erreur, mon GPS (Grand Pif Sagace) nous conduit en direction de Tegallalang : j'aurai mieux fait d'ouvrir ma nouvelle carte routière plutôt que me fier à un "flair" défaillant.
Tout le long de cette route, sur plusieurs kilomètres, une multitude de boutiques d'artisans sculpteurs exposent des collections "originales" (la fabrication en série n'est pas loin !) d'objets décoratifs de toutes formes et toutes tailles, en bois brut ou peint, achevés ou attendant la finition personnalisée d'un petit détaillant, ou encore la venue d'un commerçant étranger à la recherche d'objets à exporter. La production semble plus industrielle qu'artisanale !
La route monte insensiblement ; tiens, que font là tous ces véhicules (autocars de touristes, minibus, automobiles) stationnant de chaque côté de la route ? Il y a bien aussi les boutiques de souvenirs pour indiquer que voilà un lieu touristique.
Arrêtons nous pour voir : le point de vue qui attire tous ce monde est un paysage de rizières en terrasse joliment escarpées, avec les cocotiers parfaits pour la photo. Des générations de paysans ont aménagé ses pentes abruptes avec un tel sens pratique et artistique à la fois, une telle connaissance du relief, qu'il se dégage de ces paysages une harmonie parfaite entre l'intervention intelligente de l'homme et la nature domptée ici pour le plus réussi des tableaux agricoles. Le vert est de mise, utilisant toutes les nuances à sa disposition : le "padi" (riz en herbe), déjà haut, puise sa force dans l'eau boueuse retenue par une multitude de plateaux savamment empilés. Pure merveille que l'organisation et l'irrigation de ces rizières suivant les courbes de niveau. Effectivement, cela vaut bien quelques clichés.
Poursuivons notre route vers le Nord. Au village de Sebatu, je dois garer la Karimun sur le côté pour laisser la chaussée libre à la procession qui avance droit sur nous.
 Le son du gamelan s'approche et bientôt les hommes, revêtus de chemises blanches, sarong à carreaux noir et blanc, le front ceint du bandeau traditionnel ("ikat kepala"), blanc aussi, passent devant nous. Ils avancent au rythme des cymbales à pompons rouges tandis qu'au milieu du cortège, un "barong macam" (dragon-tigre) progresse en dodelinant de sa gueule monstrueuse. Derrière suivent les "payung" (ombrelles) dans les mêmes tonalités de couleur, balançant leur toile tendue en forme de dôme au bout d'un long manche décoré. La procession poursuit sa route ; pour quelle destination et dans quel but ?... nous l'ignorons. Il faut dire que de telles défilés sont très fréquents sur les routes balinaises.
Nous repartons en direction du Nord, la montée n'en finit pas ; des panneaux indiquent la direction "Elephant Safari Park" à gauche (une vidéo surprenante, bien qu'hors-sujet, sur le lien), Kintamani tout droit. "Terus saja" (tout droit), le panorama au sommet offre un spectacle de choix sur le volcan et le lac Batur. La dernière fois où nous sommes venus là, Gunung Batur émettait quelques jets de lave et une colonne de cendres montait en volutes grises au sortir des cratères. Tiens ! l'accès à Batur et à la route qui suit la crête surplombant le paysage convoité n'est pas gratuit : un "poste de péage" est installé juste avant l'intersection et l'on nous taxe de 5000 Rp par personne. Sans commentaire, puisqu'il faut s'exécuter : ce sont les aléas de l'industrie touristique ! 
Un peu plus loin, nous nous arrêtons sur le parking d'un restaurant avec terrasse panoramique d'où l'on pourra contempler le site volcanique. Après quelques tergiversations nous finissons par nous installer à une table pour prendre notre repas : il s'agit d'un forfait à 55000 Rp/personne, donnant droit à un buffet (à volonté), thé et café compris. Malheureusement, les plats présentés n'ont rien de bien appétissant, certaines préparations baignant dans l'huile avec quelques mouches pour toute déco... à éviter absolument.

Le panorama permet de voir nettement la dernière coulée de lave, noire, descendant du cratère principal qui culmine à 1717m ; cette fois, à la différence de 1994, aucune activité visible. Par contre, notre position nous permet de constater que nous circulons sur le bord externe du "grand" volcan de la "double caldeira", dont l'arête occidentale, la plus haute, atteint 1500m juste au-dessus du lac Batur. Selon l'éclairage, le reflet de cette falaise sombre donne à l'eau une couleur profonde, un indigo ténébreux, qui rend l'endroit impressionnant et mystérieux.

Nous reprenons la route très déçus de notre repas "touristique", en direction de Kintamani. Nous espérons voir le volcan sous un autre angle, mais plus nous montons, plus nous nous éloignons ; à Penulisan nous tentons quelques photos du paysage mais la végétation se densifie et obstrue la vue. Le versant Nord est plutôt ensoleillé alors qu'au Sud, la vue est totalement bouchée par la noirceur d'un nuage d'orage...dommage !

Nous retraversons Kintamani dans le sens descendant ; hommes et femmes se rendent au temple, pour la plupart, en sarong de batik et "kebaya" (chemisier pour les femmes) chemise blanche (pour les hommes). Bien sûr si les hommes ont les mains libres, les femmes doivent assurer l'équilibre d'un couffin sur leur crâne, ce qui leur donne une indéniable élégance.

A Penelokan nous prenons la descente vers Kedisan au bord du lac Batur ; le pourcentage est parfois impressionnant et  automobilistes et motards remontant prennent souvent des risques inconsidérés pour dépasser les camions poussifs qui peinent à gravir la pente ... prudence, prudence !
Là où il n'y avait dans mon souvenir que 2 ou 3 maisons en 1976, se dresse aujourd'hui un village avec infrastructures touristiques, pisciculture intensive et cultures maraîchères (essentiellement des choux, des oignons, de l'aïl et du piment). Nous nous engageons sur l'étroite route épousant le relief tortueux au milieu des blocs de lave noire datant de l'éruption de 1974. Des zones fertiles sont exploitées sur des parcelles isolées et il me semble y apercevoir des plants de tomate. La circulation automobile sur cette partie de route demande la plus grande prudence à cause des virages, des dos d'âne, de l'étroitesse de la chaussée et des petits camions toujours "à fond" !
Arrivés à Songan (extrémité Nord du lac) nous renonçons à faire le tour par Kuban et Trunyan, la piste ne paraissant pas suffisamment carrossable pour notre vaillante Suzuki. Demi-tour donc, quelques clichés de cet étrange paysage où la végétation a repris sa place. La population autour du lac n'ignore certainement pas les risques qu'elle encourt mais elle profite des périodes d'accalmie de l'activité volcanique pour exploiter les ressources que le site lui offre. Pour nous, le lieu rappelle des souvenirs : à l'époque, je ne me suis pas rendu compte que les conditions dans lesquelles nous avons effectué la traversée du lac (près de 10 km A-R), sous l'oeil fumant du Gunung Batur, étaient d'une imprudence folle (voir la photo ci-dessus). Pour finir en beauté, quelques mains bienveillantes avaient dû "bidouiller" notre moto pour qu'elle ne puisse redémarrer sans l'intervention d'un mécano ... souvenirs, souvenirs !!!
En tout cas, pas de problème avec notre petite Karimun : elle remonte sans encombre jusqu'à Penelokan où nous prenons la grande descente Ubud via Tampaksiring. C'est une ligne droite où l'on prend facilement de la vitesse sur le flanc du Batur, mais cela n'empêche en rien les chiens de traverser tranquillement, les camions de démarrer devant vous, les motos surchargées d'occuper la chaussée, aux nids de poule de surprendre vos amortisseurs ; alors, la meilleure solution est de s'armer de patience et d'être attentif à l'état du revêtement et à tout ce qui bouge, sans oublier l'usage du klaxon !

Arrivés sur le territoire de Tampaksiring nous faisons une petite halte au bord de grandes rizières où le padi a atteint sa hauteur maximale (60 à 80 cm) et dont je veux prendre quelques photos (on ne se refait pas, j'aime les rizières). Le ciel s'est assombri et les premières gouttes commencent à tomber. Nous traversons une averse un peu plus bas et arrivons à Ubud (dans les embouteillages) en passant devant Goa Gajah, notre destination initiale : trop tard, la nuit tombe ... ce sera pour un autre jour.

Après une douche réparatrice, nous voilà partis à pied, à la recherche d'un restaurant à jus de fruit, en vain. Au passage nous avons aperçu de ravissantes danseuses exprimant toute leur grâce au rythme saccadé du gamelan, dans un théâtre à ciel ouvert rempli de touristes. En revenant sur nos pas, nous entrons finalement dans un restaurant tout près de notre homestay, certes bien occupé mais qui permet de côtoyer d'autres voyageurs en  s'asseyant à la même table.

Ce soir-là nous échangeons nos récits de voyage avec 6 jeunes Français qui sont passés par Jogjakarta (en faisant l'ascension "crevante" et "décevante" du Merapi), le Bromo, le Kawah Ijen, qui se déplacent à moto et comptent se rendre à Amed, sur la côte Est, dès le lendemain. Ils ont l'air d'avoir "la pêche" et ne doutent de rien : vive la jeunesse !
Nous regagnons notre chambre et me couche en sueur ... les "cicak" semblent rigoler. 

3 commentaires:

  1. Des photos intéressantes pour les géographes:paysages,cultures de riz...=géo physique,economique et humaine.J'ai le souvenir
    de la pente impressionnante des rizières de
    Tampaksiring,un paysage agraire des plus magnifiques!En 1974,il n'y avait qu'1 très petit
    hôtel auprès du lac Batur et il faisait froid!
    J'attends la suite avec impatience.Big biz à vous
    deux.Maryse.

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  2. Les rizières en terrasse au début du diaporama sont celles que l'on peut admirer entre Tegallang et Ceking.
    A la fin du diaporama, il s'agit bien de rizières à Tampaksiring, sur un versant moins pentu (leur étendue est donc plus vaste et les différences de niveau moins marquées) au contraire de celles avoisinant le temple de Gunung Kawi (sur le territoire de Tampaksiring) que l'on verra dans un autre album.
    Ce sont toujours pour moi des paysages merveilleux et tellement reposant pour la vue (malheureusement pas pour celles et ceux qui y travaillent)! Il se dégage de l'ambiance "rizières" un sérénité rare.

    Quant à Kintamani, en 1976, nous y avions passé une nuit dans un "losmen" dont le propriétaire avait allumé un feu dans la cheminée pour nous sécher : nous étions transis et trempés après avoir essuyé un orage à moto sur les routes montagneuses et boisées de la région.

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  3. Jolie description des rizières, avec ce mélange unique d'efficacité (suivre les courbes de niveau, circulation de l'eau d'étage en étage) et d'attention esthétique. Y a-t-il beaucoup d'autres endroits au monde où l'on arrive à une telle perfection? Les Balinais sont certainement des maîtres dans ce domaine.

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