mercredi 30 juin 2010

Derniers jours : famille, achats, restos...et petites angoisses.

Sommaire : rien que de l'ordinaire dans cet article qui vous entraîne dans notre quotidien jakartanais : réunions de famille, climat tropical, restaurants de rue, petits boulots, activités commerciales, etc ... tout ce qu'un touriste "ordinaire" ne recherche pas en priorité mais c'est peut-être là l'intérêt de le raconter ! Les lecteurs indonésiens s'y retrouveront sans doute et les autres y glaneront ce qu'ils voudront...

Dimanche 26 avril :
La plus jeune soeur de Tuti, Niang, nous a invités chez elle pour midi ; dans la matinée, un coup de téléphone nous averti que Bi Ikah (diminutif pour "tante Atikah" comme cela se pratique pour beaucoup de prénoms indonésiens), la doyenne de la famille, est souffrante. Nous nous rendons donc à Cipete, le quartier de Jakarta où elle habite. Arrivés sur place, nous apprenons qu'elle est hospitalisée : nous nous devons de nous rendre à son chevet. Tuti qui supporte déjà assez mal la chaleur étouffante additionnée aux embouteillages de la capitale, a horreur des hôpitaux et tout particulièrement en Indonésie. Cela nous éloigne encore de notre destination finale mais bon, quand faut y aller, faut y aller ! Pas d'échappatoire possible.
En fait d'hôpital, il s'agit plutôt d'une petite structure, genre clinique ; les couloirs ne sont pas remplis de patients en souffrance et de familles en visite comme on peut le voir dans certains établissements surpeuplés. Nous trouvons la chambre de Bi Ikah au 1er étage, juste en face du tableau qui répertorie les malades, leur âge, leur sexe, le régime à suivre, etc. ; l'hygiène de l'hôpital semble au top et en attendant que les infirmières prodiguant les soins nous autorisent à entrer dans la chambre nous nous amusons à pronostiquer notre poids, essayant chacun à notre tour le pèse-personne à disposition dans le couloir.
Nous entrons dans la chambre ; sur son lit entouré de rideaux verts, Bi Ikah semble ravie de nous voir. Elle est allongée avec une perfusion pour l'alimenter. Elle regrette de ne rien avoir prévu pour nous recevoir et, dans la foulée, je me vois attribué le titre de "tamu yang agung" (noble invité) : est-ce bien mérité ? En tout cas c'est une formule de politesse bien respectueuse. Puis elle se tourne vers Eddy pour lui demander quel âge elle a. "Quatre-vingt-neuf ans" répond-il avec assurance, puis éclate de rire en nous regardant : tout le mérite qui lui revient de connaître la réponse, il le doit au tableau du couloir où le renseignement était inscrit. Une jeune et charmante "perawat"  (infirmière), très prévenante et délicate, vient faire une prise de sang. Afin de garder une précieuse trace de cette mémorable visite, l'appareil photo fait son office de boîte à souvenirs. Nous prenons enfin congé de Bi Ikah et de sa fille, quittant l'hôpital pour la maison de Niang.

Nous arrivons dans un quartier tranquille, avec des rues étroites, assez vert,  avec une petite rivière où quelques enfants essaient de prendre du poisson. La maison est loin d'être luxueuse, au fond d'une impasse, voisinant avec deux autres habitations. Ayup, le mari de Niang, est à la mosquée, alors nous prenons l'apéro (sirop pour tout le monde) en attendant son retour.  Il revient ; il parle toujours aussi vite, avec des intonations "asal Betawi"  caractéristiques : j'ai beaucoup de mal à saisir le sens de ces paroles. Le repas est prêt et nous passons à table : nous prenons une assiette, des couverts et allons nous servir de riz et autres mets à disposition sur la table, puis retournons nous asseoir pour manger sur nos genoux.
Le repas terminé, Nuke a besoin d'aller se reposer. Je dois visiblement présenter les mêmes symptômes de fatigue qu'elle car on me suggère d'aller faire la sieste dans une chambre voisine. J'hésite un peu mais une douce torpeur m'envahit et la lourde chaleur ambiante pèse sur mes paupières ; plutôt que d'infliger le spectacle de mon effondrement sur une chaise aux membres de la famille, je choisis d'aller m'allonger sur une natte à même le sol, dans la chambre de Diha, le fils aîné. 
Je suis réveillé brusquement par un ronflement beaucoup plus puissant que mes modestes prestations en la matière : le tonnerre gronde. Un violent orage vient d'éclater ; des trombes s'abattent sur le quartier. L'embrouillamini de fils électriques alimentant la maison d'en face ne me dit rien qui vaille avec toute cette eau qui se déverse du gros cumulonimbus noir au-dessus de nos têtes. Les éclairs traversent le ciel, immédiatement suivis des claquements  impétueux de la foudre, amplifiés par la situation encaissée du quartier... un bel orage tropical, violent à souhait, heureusement vite calmé !

L'après-midi se passe dans une étouffante moiteur  ensoleillée quand Yani nous rejoint. Un autre repas familial est prévu pour le soir, cette fois chez Wishnu, l'aîné des neveux. Nous prenons place dans trois voitures : l'énorme "Kijang" au moteur refait de Ayup, le monospace plus confortable "Aranza" de Fahmi et la petite "Starlett" pour une fois en état de rouler de Eddy... rien que du "Toyota" local. Nous arrivons en convoi à la nuit tombante (18 heures) dans le lotissement tranquille, précédant de peu nos hôtes. 
L'intérieur de la maison est spacieux, refait à neuf. Wishnu, réalisateur de films publicitaires et courts-métrages, est un multi-collectionneur : une vitrine-étagère est remplie de trains électriques et accessoires de marque allemande, une autre d'objets portant la griffe "Coca-Cola", une autre de figurines en plastique de personnages fantastiques, une autre encore consacrée à "Superman" et encore quelques voitures miniatures. Wishnu, qui a toujours montrer des dispositions artistiques indéniables, compose en général la musique de ses films, aussi ne sommes-nous pas surpris de trouver orgue électrique et diverses guitares dans le séjour. Les enfants, Andra la fille aînée et Takwa le petit frère hyper-actif sont des enfants "gâtés".

Sur la table du salon, des gâteaux traditionnels  à disposition ; la journée a été tellement chaude que chacun souhaite se rafraîchir en prenant une douche. Après quoi et juste avant de manger, nous rendons une brève visite aux parents de Wiena, l'épouse de Wishnu, qui demeurent juste en face. Au retour, le "buffet" nous attend sur une table à l'extérieur :  appétissante "sop buntut sapi" (soupe de queue de boeuf), "ikan gurami"  (poisson gourami) artistiquement découpé en corolle, "sambal", "ketimun"  (concombre) et "nasi putih" (riz blanc).

Wishnu part très tôt le lendemain pour un tournage à Surabaya, la grande ville de "Jawa Timur" (Java Est), mais avant que nous nous en allions il souhaite nous faire cadeau de "becak" (cyclopousse) et "sepeda" (bicyclette) miniatures de taille encombrante. Jolis objets décoratifs, qui devront trouver place dans nos bagages !...

Lundi 27 avril :
Tuti, Emma et Usna sont partis faire des achats de "batik" (autres liens pour "batik" : technique / développement durable) à "pasar Tanah Abang" (sorte de marché de gros du textile) ; mieux vaut qu'un "bule" n'entrave pas leurs marchandages à l'Indonésienne ! Je vais donc aller changer les derniers euros qui me restent en prévision des achats-cadeaux pour le retour en France. Nuke et Fahmi m'accompagnent.

En chemin, nous nous arrêtons dans une petite rue derrière "Taman kanak-kanak" Santa-Theresia (école maternelle privée catholique) pour...vous avez deviné ? Une petite pause "makan" (manger, et dans ce cas un en-cas), juste "mie ayam" et "air jeruk".

Le stand du "kakilima" ne paie pas de mine : une petite carriole laboratoire de cuisine, une toile tendue pour tout abri, quelques tabourets en plastique rouge : le décor est dressé, occupant le trottoir. La renommée de la spécialité préparée est faite, la clientèle afflue ; il s'agit d'arriver suffisamment tôt, si non la matière première - "mie, ayam, toge dan bumbu² lain"  (nouilles, poulet, pousses de soja et ingrédients divers) - risque de manquer très vite...la rançon du succès et de l'exiguïté de l'installation !

Le chef  adapte l'assaisonnement à la demande, plus ou moins de ceci, plus ou moins de cela, avec ou sans "sambal", et le tour est joué : "sedap dan murah"  (savoureux et bon marché) !

Comme boisson, "air jeruk" ("jeruk" englobe l'ensemble des agrumes) une orangeade à base de mandarines à peau verte pressées à la main.

Après cette collation, Oki nous rejoint ; après nous avoir fait remonter Jalan Jendral Sudirman, Fahmi et Nuke nous déposent à Blok M, un ensemble de centres commerciaux du quartier de Kebayoran Baru au Sud de Jakarta, à la fois populaire et très fréquenté par les expatriés et les touristes à la recherche de marchandises bon marché. J'ai demandé à Oki de m'accompagner dans ce labyrinthe d'échoppes en tout genre ; j'ai l'intention d'acquérir une montre de la marque qui donna lieu à l'une des réflexions les plus crasses de 2009 : "Comment peut-on reprocher à un président d'avoir une Rollex. Enfin... tout le monde a une Rollex. Si à cinquante ans, on n'a pas une Rollex, on a quand même raté sa vie !" ... Vous vous rappelez ? Un vrai mariole ce type !
C'est dans les rues de Kuta, à Bali, que l'idée m'a traversé l'esprit de faire  cette surprise à un collègue pour célébrer dignement son demi-siècle. Evidemment, ce n'est pas dans une boutique de Blok M que je trouverai une véritable Rollex. D'ailleurs la pension que me verse l'Education Nationale s'avèrerait nettement insuffisante pour un tel achat, même si je n'ai pas l'impression d'avoir raté ma vie - n'en déplaise à l'auteur de la goujaterie précédente ! Par contre les contrefaçons chinoises sont beaucoup plus courantes et abordables ; nous voilà donc partis à la recherche des attributs de la réussite selon Séguéla. Nous procédons à quelques repérages.

Nous nous rendons ensuite à Pasaraya, un autre centre commercial ; il y a de tout, mais les tarifs des objets artisanaux sont élevés. On trouve quelques bizarreries dont ces grenouilles en bois, joliment décorées, percées de part en part par un bâtonnet amovible ; intrigué, je tapote le corps du batracien avec la petite baguette de bois... rien de particulier ! Une vendeuse passe à proximité, je la questionne sur l'utilité de l'objet. Elle s'en saisit pour frotter la colonne vertébrale bosselée de l'animal en bois avec le bâtonnet ; miracle ! le son produit imite parfaitement le chant d'une grenouille. Un peu plus loin, je sympathise avec un "wayang golek" géant.

Au moment de ressortir, un craquement tonitruant se fait entendre, suivi immédiatement d'un bruyant déluge orageux. Inutile de sortir dans l'immédiat; nous patientons en nous installant dans un café-glacier. Le Nescafé servi tient plus du jus de chaussette que de l'expresso italien ! Nous retentons une sortie, mais la pluie est toujours aussi forte ; nous choisissons de faire appel à un loueur de parapluie pour rejoindre le bâtiment de l'autre côté de la rue : ils sont plusieurs à offrir ce services contre quelques rupiah, abritant leurs clients tandis qu'eux sont trempés comme des soupes.
Nous voilà revenus chez un "tukang jam" (vendeur de montres) déjà repéré ; à ma demande, il nous présente plusieurs modèles de la fameuse marque à la couronne. Certains paraissent munis de multiples fonctions, avec plein de boutons sur le pourtour du cadran : il ne s'agit que d'appendices fixes, juste là pour le décor et la frime. J'opte pour un modèle classique très simple, sans surprise, à mécanisme automatique (sans pile) ; j'en profite pour changer le bracelet de ma Casio tandis que Oki se laisse tenter par un modèle de la même marque. Après marchandage, je règle la Rollex et mon bracelet neuf avec 250000 rupiah.

Dehors les chauffeurs de "bajaj", désoeuvrés, attendent nonchalamment les clients ; nous hélons un taxi pour rentrer à Setiabudi, Fahmi ayant rendu la voiture à ses parents. Dans les embouteillages, le taximètre tourne rapidement et la course nous  coûte 50000 rupiah que Nuke se charge de payer avec des coupons fournis par la boîte où elle travaille. Il n'est pas question que je paie quoi que ce soit quand je sors avec des membres de la famille ou des amis : je suis ici comme un coq en pâte !
A la maison, les femmes sont revenues de "pasar Tanah Abang" et Tuti s'empresse de me montrer ses achats de "batik" ; je passe à l'essayage des chemises, puis nous commençons à organiser les valises. Il faut répartir les objets fragiles, les vêtements dans les bagages appropriés, sans oublier des victuailles introuvables en France ("tempé kering" et autres bricoles délicieuses) dans des boîtes ou des sacs en plastique résistant. Notre neveu Manggar arrive à son tour pour transférer certains de nos clichés numériques sur son portable.

Mardi 28 avril :
Ce matin nous prenons un taxi, direction "Sarinah", un centre commercial à côté de l'ambassade de France. Le bâtiment donne sur "Jalan Thamrin" l'une des principales artères de Jakarta, là où se sont dressés les premiers buildings (hôtels, banques, ambassades) constituant ainsi le principal quartier d'affaires de la capitale.
L'immeuble de "Sarinah" abrite plusieurs étages de magasins avec des enseignes de luxe et la clientèle allant avec, mais il représente surtout pour Tuti et moi un lieu particulier puisque Tuti y travaillait au rayon "Batik Keris" (marque réputée de tissu en batik) lorsque nous nous sommes connus en 1975. Nous prenons donc l'escalator jusqu'à l'étage des "batik" pour contempler les magnifiques tissus et nous imprégner de l'odeur de cire si caractéristique de l'endroit, odeur que j'associe à ce pays comme celle des "kretek" (cigarettes au clou de girofle) tout aussi typique ; il y a ainsi plein de senteurs (pas toujours aussi agréables) qui s'impriment dans le cerveau comme marque identitaire d'un pays. Quelques objets usuels en tissu coloré retiennent notre attention : trousses de toilette, porte-monnaie, étuis à stylos... cela fera l'affaire pour quelques cadeaux-souvenirs.
Au rez-de-chaussée, nous jetons un oeil au rayon chemises/polos, mais tous les produits de marque exposés sont relativement onéreux ; nous nous dirigeons vers la petite boutique de CD où Tuti fait l'acquisition d'un "Best of gamelan" (musique balinaise).

En sortant, nous décidons de retourner chez le "tukang mie ayam" de la veille, rajoutant quelques "sate" pour compléter le repas pris cette fois sur la table du marchand de jus de "jeruk" ; j'ai ainsi le loisir d'observer comment il s'y prend pour remplir en quelques secondes un grand verre du jus extrait de cinq fruits, coupés en deux et écrasés à la main à travers un chinois. Il presse ainsi chaque jour 60 kg de "jeruk". A côté, le marchand de soupes de nouilles a épuisé son stock de victuailles et range son matériel. Un vieil homme et une jeune femme font la manche en entonnant des chants traditionnels javanais.

Nous prenons un taxi jusque dans le quartier de Blok M où nous devons récupérer la confortable et spacieuse voiture de Wishnu. Nous nous arrêtons dans un magasin réputé pour la diversité des produits alimentaires que l'on peut y trouver ; il s'agit en fait de spécialités régionales en provenance de toute l'Indonésie... ce qui permet à certaines personnes de "se dépanner" en souvenirs de Sulawesi, Bali, Sumatra, Moluques, etc. à rapporter à la maison, pour justifier d'un faux congrès de ceci ou cela dans une lointaine province, sans avoir quitté la capitale... faut-il avoir mauvais esprit pour imaginer de tels stratagèmes pour couvrir des escapades extra-conjugales !
Après quelques emplettes, retour à la maison en passant à l'hôpital Pelni pour prendre Tine à la sortie du boulot. En arrivant, je m'empresse de prendre ce qu'il faut pour enrayer un rhume qui semble s'installer : rien de surprenant à cela, je pense que la "clim" des voitures y est pour beaucoup ! Une courte sieste, le remplissage des bagages (il faut pouvoir caser au mieux tout ce que nous avons accumulé en 4 semaines) une bonne douche et nous voilà repartis pour expérience gastronomique pimentée, non loin de la maison.


Il s'agit du restaurant Mbah Jingkrak situé au numéro 11 de Setiabudi Tengah et qui affiche ses spécialités culinaires javanaises ("Spesial masakan Jowo"); à l'entrée on peut voir quelques statuettes inspirées des marionnettes  traditionnelles de Java mais surtout une collection incroyable de bouteilles de "kecap manis" (sauce de soja sucrée) venues de toutes les régions d'Indonésie.


Un buffet fort appétissant avec des préparations à base de légumes très pimentées, du poissons et de la viande non moins épicés, un choix de riz inhabituel et pour relever le tout quelques "sambal"  (purées de piments) au cas où vous trouveriez la cuisine un peu fade ! Tout cela est très tentant, mais la réputation de cette cuisine est de "déménager" votre palais et tout ce qui suit.

Je fais un choix raisonnable pour préserver mon appareil digestif tandis que Tuti et Fahmi se lancent dans une expérience gustative  à "hot" teneur en capsaïcine. Nous accompagnons nos plats de boissons inédites pour nous ; la mienne est constituée d'un fruit dont la particularité est de ressembler étrangement à une ponte de grenouille mais qui a, paraît-il, des vertus appaisantes quant à l'inflammation de votre cavité buccale !

La salle à manger est agréablement située au-dessus d'un bassin, enjambé de passerelles en bois et où les coins repas sont abrités sous de grands parasols plus décoratifs qu'utiles à 19 heures. 
Bien installés autour de la table en teck, nous guettons les réactions des uns et des autres  rapport à la "chaleur" procurée par l'absorption de ces plats "pedas sekali" (très relevés). Tuti et Fahmi semblent s'enflammer, transpirant du front et du nez, moi je teste petit à petit : une simple goutte de sambal redonne vie à mon "ayam kampung"  (poulet fermier). Finalement tout passe bien et j'apprécie  une cuisine de qualité. Ma boisson vient au secours de Tuti : elle se révèle effectivement efficace contre les effets inflammatoires du piment à haute dose.

Tuti et Fahmi sont satisfaits de leur expérience, les sentations de brûlure s'estompent heureusement assez rapidement ; Yani et Nuke sont restées beaucoup plus prudentes dans le choix de leurs mets, rigolant des réactions embrasées des deux aventuriers de la gastronomie javanaise traditionnelle.
Ah, oui ! j'allais oublier de préciser la signification très expressive de "Mbah Jingkrak" : la Grand-mère bondissante...! Sensations cuisantes garanties !

La soirée n'est pas terminée : pour continuer dans le domaine "bouffe", nous nous rendons chez une amie de Tuti qui a préparé un peu de "rendang"  (boeuf longuement mijoté dans du lait de coco épicé), spécialité de la région Minangkabau à Sumatra, pour rapporter en France. La copine  en question habite dans un lotissement réservé aux employés de la BNI (Bank Republik Indonesia) situé à Bekasi à l'Est de la capitale... autrement dit, encore pas mal de distance à parcourir après une journée déjà bien remplie.
Nous sommes accueillis comme il se doit en Indonésie, dans le "ruang tamu"  (salon), assis autour d'une table basse garnie de spécialités salées ou sucrées ("martabak", "pisang goreng") accompagnées d'un verre de sirop de citron. Beaucoup de choses à se raconter et c'est vers 22 heures que nous prenons congé de nos hôtes, chargés de 3 kg de rendang ainsi que de poulet préparé spécialement pour nous ; c'est très généreux, bien dans la tradition du pays... mais où et comment va-t-on caser tout ça dans nos bagages ? Comme nous craignons pour la conservation du poulet pendant le voyage, nous le laisserons à la famille !

Mercredi 29 avril :
Première chose à faire ce matin-là : trouver des boîtes suffisamment solides et hermétiques pour le transport des victuailles (rendang, emping, kerupuk). Pour ce faire, direction le supermarché Carrefour-Ambassador.
Dans le magasin, je prends quelques photos mais un agent de sécurité me fait signe d'arrêter : c'est interdit... je n'insiste pas.
Nos boîtes trouvées, nous circulons dans les allées de la galerie marchande ; Tuti négocie une montre Casio, un peu plus loin je découvre une petite boutique de modèles réduits et me voilà discutant le prix d'une reproduction de Vespa-sport de 1952... petit cadeau pour le "fun" en complément de la Rollex chinoise.

Nous allons ensuite manger au restaurant "Mie Gajah Mada", spécialisé dans les plats à base de nouilles. C'est l'heure de pointe, il faut prendre un ticket et attendre qu'une table se libère ; les serveurs s'activent et les cuisiniers s'agitent. C'est de la restauration rapide mais copieuse et correcte du point de vue gustatif ; mon choix c'est porté sur un "mie goreng / cap cai" (chop suy version indonésienne) ... besoin de légumes !

De retour à la maison, après la sieste réparatrice, nous nous attaquons au remplissage des sacs et valises. Tuti transvase les "emping" dans des boîtes en plastique pour les protéger des chocs ; Yuyun a elle aussi cuisiné 4 kg de "rendang", Rachid et Iqbal ont apporté des chemises en "batik" (taille XXL) et différents autres cadeaux pour la famille. Un vrai casse-tête pour caser tout ça sans dépasser le poids de bagage autorisé ? Et les cadeaux qui ne cessent d'arriver : Fahmi apporte une "kodok" (grenouille) en bois qui chante quand on lui frotte le dos avec une baguette, rapportée de Chine par Nuke, ainsi qu'un CD introuvable de Chrysie (célèbre chanteur indonésien aujourd'hui disparu) et Emma nous offre une série de 7 CD-MP3 non labellisés (autrement dit des copies en vente libre dans toutes les galeries marchandes des "shopping-centers" les plus fréquentés).  
Les deux sacs que nous transporterons en cabine, pleins à craquer des choses les plus fragiles pèsent respectivement 8 et 10 kg. Le grand sac rempli de vêtements va devoir aussi loger les 7 kg de "rendang" que Tuti enveloppe soigneusement de papier aluminium avant de les mettre en boîte : il pèse bien au-delà des 20 kg autorisés de même que la valise ! Il va falloir laisser sur place quelques effets personnels et denrées périssables en surpoids... le stress de l'enregistrement des bagages à l'aéroport commence à se faire sentir : comment ça va se passer ?

Jeudi 30 avril :
Ce sont nos dernières heures à Jakarta ; levés à 5h30, p'tit-dèj à 6h ... ça sent le départ.
Deux neveux, Fandi et sa soeur Tetty arrivent à moto ; nous n'avions pas encore vu le premier et bien sûr il se fait charrier pour son manque d'assiduité aux réunions de famille ainsi que sur la rareté de ses visites à Setiabudi. Il ne s'émeut pas de ses remarques et prend le parti d'en rire. Il demande des nouvelles de ses cousins français et je lui montre quelques photos de notre petit-fils, prises en France, juste avant notre départ.
Yuyun, Rachid, Usna ainsi que Wishnu sont là aussi avec d'autres cadeaux. Emma, Topo et Niang arrivent à leur tour. Tuti finit de distribuer les quelques présents qui nous restent et donne ses consignes à Tine pour continuer le travail auprès de ceux que nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer.

Fahmi a préparé du "roti"  (pain ou plus exactement des espèces de crêpes épaisses et ajourées) pour manger avec du "gulai kambing"  (soupe / ragoût de mouton : un peu gras - normal, c'est à base de lait de coco - mais fort goûteux ! Pas vraiment conseillé pour le taux de cholestérol tout ça !!!

La journée se passe en attendant le départ pour Cengkareng où notre avion doit décoller à 18h45. Pour nous accompagner la famille est là, en force, comme d'habitude : nous sommes quatorze à effectuer le déplacement et donc trois voiture sont nécessaires. Nous rejoignons l'aéroport international Soekarno-Hatta en une heure, mais nous sommes largement en avance. 

Nous décidons de faire enregistrer les bagages ; au passage du contrôle aux rayons X, le douanier nous demande d'ouvrir le gros sac noir, intrigué par les masses opaques des emballages de papier-alu, puis il se ravise devant nos têtes déconfites : "Rendang ?" demande-t-il. "Ya Bapak, ada 7 kilos !". Il est de bonne composition et avec un grand sourire nous autorise à passer, sans plus de question. Ouf, une première étape de franchie.

Nous nous dirigeons vers le guichet d'enregistrement quand j'aperçois une jeune femme qui nous fait des signes ; nous la reconnaissons quand elle s'avance vers nous : le monde est vraiment petit car il s'agit d'une Indonésienne mariée à un Français habitant ... Saint-Etienne ! Elle rentre en France après un séjour prolongé en Indonésie avec son petit garçon de 2 ans. On se verra plus tard, enregistrons d'abord le gros sac et la valise : dépassement de près de 5kg, soit 119€ de surtaxe... ça fait cher le kilo ! Tuti tente une négociation que le jeune contrôleur finit par accepter : environ 400000 Rupiah, tout ce qui nous reste, petite monnaie comprise. Il nous demande bien entendu si nous n'avons pas d'autres bagages car, en cabine, ils ne doivent pas dépasser 5kg par personne ; Tuti lui confirme avec conviction que nous n'avons que de petits sacs, qu'il n'y a pas de problème ! En fait, nous avons confié les sacs pour la cabine à la famille en attendant : ils doivent peser au bas mot 25kg à eux deux !!!
Nous ressortons pour les au revoir à la famille ; tout le monde n'est pas là, certains sont partis faire la prière... Tuti aimerait bien entrer définitivement dans la salle d'attente mais il faut attendre le retour de tous. Enfin, la famille est au complet et l'on peut sacrifier au rituel des dernières photos.
Nous voilà devant le portique de contrôle, chargés comme des mules, nos cartes d'embarquement à la main et le dos ruisselant de sueur : tout se passe sans anicroche.
De la salle d'attente nous voyons arriver notre Airbus, ses passagers en sortir. Le temps de refaire les niveaux, notre tour arrive pour aller occuper nos sièges 19 A et B. Le C étant vide cela nous permet d'y poser nos pesants et encombrants bagages à main. A l'escale technique de Kuala Lumpur, pas question de nous encombrer de nos fardeaux.
Quand nous arrivons à Amsterdam, le jour se lève timidement ; l'aéroport s'éveille avec le débarquement des 425 passagers de notre vol. C'est le siège des toilettes. Les boutiques duty-free soulèvent leurs rideaux métalliques sur les vitrines de produits de luxe et les bonnes affaires à ne rater sous aucun prétexte !

Au passage du portique, mes chaussures à oeillets métalliques activent l'alarme : je montre mes chaussures à la contrôleuse de service mais elle ne semble pas d'humeur à plaisanter ; le ton qu'elle emploie pour me faire comprendre que je dois faire demi-tour et ôter l'objet du déli pour me présenter de nouveau, en chaussettes, sous ce maudit portique ressemble plus à un accueil de Pit Bull qu'à la voix suave de l'hôtesse qui fait les annonces au micro. Bonjour l'Europe !...
Pendant que je m'exécute devant une file pressante d'une bonne centaine de passagers pressés et en transit, mes chaussures prennent le chemin du tapis roulant du caisson à rayons X. Merci mes godasses pour ce petit moment de honte devant ce public matinal !
Nous croisons 2 ou 3 familles masquées : la grippe porcine, en provenance du Mexique, fait la une de l'actualité depuis quelques jours !
  
 
Nous arrivons enfin à la porte C4 : il est 6h25 et nous décollons pour Lyon-Satolas à 9h40. Tuti et son amie stéphanoise ont du temps devant elles pour échanger leurs impressions indonésiennes.

...


Nous sommes le 1er mai et l'aéroport de St-Exupéry semble livré aux seuls passagers qui débarquent... fin du voyage !
  

dimanche 25 avril 2010

Pramuka et Masjid Kubah Emas

Sommaire : voici regroupés dans un même article les récits de deux journées de notre dernière semaine en Indonésie où l'on ne peut faire abstraction de l'importance du fait religieux dans la vie quotidienne.
Aucun album, mais quelques clichés "empruntés" et personnels de Situ Gintung (déjà évoqué dans un précédant article) et de Masjid Kubah Emas (mosquée de construction récente dans la banlieue jakartanaise) illustrent le récit de ces deux jours plus "sociétaux".
   

Vendredi 24 avril 2009 : 
La nuit suivant notre retour de Bali a été très reposante puisque je n'ai même pas entendu le premier appel à la prière de la mosquée toute proche, à 4 heures du matin. Pourtant l'un des murs de l'édifice religieux est mitoyen avec le terrain de la famille de Tuti et le volume sonore des hauts-parleurs est loin d'être réglé "mezza voce"... sans doute finit-on par s'habituer !

Pas de programme particulier ce jour : nous décidons d'aller passer un moment au "warnet" ("warung internet") du quartier. C'est une petite salle située juste en face du SMA III ("Sekolah Menengah Atas III" : lycée public - d'excellente réputation), avec 6 ou 7 box  équipés d'ordinateurs basiques. Il reste un appareil libre que nous demandons au gérant d'équiper d'un lecteur de carte mémoire afin d'envoyer quelques photos aux amis et à la famille ; nous pouvons accéder à nos courriels et avoir ainsi des nouvelles fraîches et des photos récentes du petit Nino. La surprise est de le voir grimaçant, couvert de boutons, de croûtes, barbouillé d'éosine, victime innocente de la varicelle !
Nous ne perdons pas notre temps à éplucher les messages "publicitaires", ils peuvent attendre. Nous règlons la prestation en fonction de la durée d'utilisation du "computer".

De retour à la maison, Fahmi nous propose de l'accompagner pour aller chercher Yani qui encadre un camp "pramuka" (scouts). Si les membres des Gerakan Pramuka d'Indonésie sont majoritairement musulmans, il s'agit d'associations pluralistes qui comptent aussi des groupes catholiques et protestants. Un mouvement laïc (comme les éclaireurs en France) n'est pas  envisageable par le fait même de l'existence du premier des cinq principes de la philosophie de l'Etat indonésien ("Pancasila") : La croyance en un Dieu unique.
Nous voilà donc sur l'ancienne route menant à Bogor mais bientôt nous bifurquons sur une petite voie s'enfonçant dans la campagne. Les maisons se font rares, les cultures maraîchères plus présentes, des bosquets de bananiers ainsi que quelques volailles en liberté. Nous croisons des cyclistes perchés sur leur vélo hollandais roulant paisiblement sur cette route tranquille. Bientôt apparaît le camp scout.

Sur la gauche de l'entrée apparaissent plusieurs toiles de tente grande taille installées à la "va-comme-je-te-pousse"  avec quelques effets supendus aux cordes de tension: c'est le campement des filles. Le terrain est ombragé et au milieu de cet espace un terrain de jeu et une petite mosquée carrelée de blanc.

De l'autre côté, c'est le camp des garçons. Tout au fond, un bâtiment en dur vers lequel nous nous dirigeons. Yani, l'aînée des soeurs de Tuti nous accueille en uniforme marron et nous présente aux différents membres de l'encadrement. Une boisson nous est proposée à l'ombre du auvent ; nous laissons nos sandales sur les marches pour nous déplacer sur le sol impeccable de la terrasse. Il faut dire que le terrain est un peu gras après avoir subi les trombes d'un violent orage dans la nuit : ceci explique le linge qui sèche près des toiles de tente qui semblent, elles aussi, avoir pris l'eau.

Les jeunes adolescents vaquent librement à leurs occupations puis c'est l'heure de la prière : les jeunes filles vont faire leurs ablutions puis revêtent leur "mukena" (voile de prière blanc) et les garçons un "sarong". Leurs dévotions séparées terminées, répondant aux ordres lancés à coup de mégaphone, tous les "pramuka" se regroupent pour un jeu organisé : au signal, dans un premier temps, ce sont les filles qui s'égaient dans tous les sens, à la recherche de messages cachés ça et là par les garçons. Le jeu recommence en inversant les rôles... sous l'oeil vigilant des adultes de l'encadrement, plus très jeunes !

Revenus à Setiabudi, nous ressortons dans la soirée avec Fahmi pour aller chercher Nuke à la sortie du travail. Nous nous arrêtons tout près de l'immeuble où elle travaille, dans une rue investie par des "kaki-lima"; Tuti et Fahmi ont une petite envie de "mie bakso" (soupe de nouilles aux boulettes de viande) et moi plutôt envie d'épancher ma soif. C'est comme ça à Jakarta, il y a de quoi se nourrir à chaque coin de rue ou presque, et l'on mange à tout moment de la journée ; le rituel du repas à la française à heures fixes n'entre guère dans les moeurs indonésiennes.

Fahmi et Tuti attaquent leur bol de nouilles, je commande un jus de fruit. Le marchand me demande ce que je veux ; n'ayant pas beaucoup d'idée mais beaucoup de choix, je lui fais confiance pour un coktail fruité de sa composition "yang enak" (qui soit bon). Un instant après il m'apporte, dans un grand verre, une boisson  composée de jus de "blimbing" (carambole), "sirsak"  (anone), "jambu" (goyave) et "tomat" (...) : ça se laisse boire !

Tandis que nous nous restaurons, une "ibu" (dame) vêtue d'un "kebaya" et "sarong" en batik (tenue traditionnelle javanaise) très serré s'agenouille près de chaque table occupée pour entonner un court extrait d'une "javanese song" dans la plus pure tradition, s'accompagnant d'un instrument de musique rudimentaire, une sorte de "siter" (cithare) faite d'une caisse en bois sur laquelle sont tendues plusieurs cordes produisant un son on ne peut plus métallique. La dame est aveugle et s'arrête là où son guide la conduit pour offrir une sérénade lancinante aux modulations harmoniques caractéristiques du chant javanais, en échange de quelques pièces.
Finalement, Nuke nous rejoint et nous rentrons à la maison dans les embouteillages habituels ; à un feu tricolore, un jeune garçon essaie de nous refourguer un "bajaj" miniature, en plastique mais ... lumineux ! Ces gamins essaient de rapporter quelques rupiah à la maison pour nourrir frères et soeurs, en vendant des journaux, des jouets, des sachets de "kacang"  (cacahuètes ou autres), risquant à tout moment de se faire renverser. Les transactions doivent être rapides et efficaces... le temps du passage du feu du rouge au vert et de se faufiler entre les voitures qui démarrent pour se mettre à l'abri de se flot motorisé.



Samedi 25 avril :
Nous passons la journée avec nos amis Ani et Arbie. Dès neuf heures, Pak Bakri est là pour nous conduire chez lui, alors que je suis en train de prendre ma douche-casserole. Je me hâte - mais oui, c'est possible - pour ne pas le faire attendre. De toute façon, ce n'est pas un problème : les Indonésiens sont beaucoup plus patients, moins agités que les Français et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles je me sens très à l'aise dans ce pays !

Il nous embarque dans son "kijang" Toyota (espèce de mono-space made in Indonesia, que l'on voit partout dans les rues), conduit par son chauffeur. En arrivant chez lui, nous trouvons son épouse Ani en train de faire des essais de macro-photos sur une plume d'oiseau. Ses appareils sont plutôt haut de gamme.

Ils nous conduisent sur le site de Situ Gintung, lieu de la catastrophe dont j'ai déjà parlé dans le douzième article ("Situ Babakan, Situ Gintung").

Nous arrivons par un autre endroit cette fois ; il s'agit d'une sorte de parc avec différentes possibilités de distractions aquatiques et nautiques. D'un côté une piscine que nous avions fréquentée dans les années 90 avec nos enfants avec des tables pour se restaurer, de l'autre côté un domaine donnant sur les berges de la retenue d'eau qui a cédé en mars sous l'effet des pluies torrentielles et à cause du manque d'entretien de la digue en terre construite dans les années trente, sous l'occupation néerlandaise.

Aujourd'hui, seul un filet d'eau s'écoule lentement et donc plus d'activités de canotage, de pêche ou autres : il ne reste que deux vallons de vase rouge vidés de leur contenu. Déjà, quelques plantations maraîchères voient le jour près des cabanes de pêcheurs sur pilotis  désertées, désormais inutiles. Les embarcations de plaisance sont entreposées sur les berges, à l'abri de bâches, en "chômage technique".



Il fait très chaud en cette fin de matinée et nous arrivons au bout du bras de terre en essayant de rester à l'ombre des arbres du parc qui devait accueillir, le week-end, une foule de familles avant que la digue de terre ne craque. Mis à par un chien galleux, un jogger et deux jeunes amoureux, nous n'avons rencontré personne. De la pointe de la presqu'île, nous distinguons beaucoup plus nettement que la première fois, la brèche dans le mur de retenue... on imagine la panique et les dégâts provoqués par le déferlement d'eau soudain, en pleine nuit, sur les habitations construites, sous le barrage, en toute inconscience des risques.

Nous retournons pour le déjeuner chez nos amis ; au menu : poulet, poisson, légumes,"tahu" à la Menado : excellemment épicé ! Je ne cesse d'admirer la collection de sculptures primitives  d'Irian Jaya qui ornent un pan de mur de la cuisine, tout en appréciant le délicieux repas.

Après avoir fait bombance, les dames entament une discussion relative à leurs enfants et nous les hommes, après être allés faire un tour sur Internet (retrouver entre autre quelques photos de petit Nino), nous mettons à parler de l'Indonésie et de ses importantes richesses naturelles largement exploitées par des multinationales sans scrupules, de la destruction abusive des forêts primaires de Sumatra et Kalimantan ("deforestasi / reboisasi") et des conséquences dramatiques de cette exploitation sauvage, de ce qu'il faudrait faire au niveau gouvernemental pour que ce pays puisse utiliser tous ses potentiels économiques et humains de manière à ce que le peuple arrive un jour à sortir des conditions de vie précaires dans lesquelles il se trouve, etc, etc... bien sûr mes convictions sont celles d'un Occidental venant d'un pays nanti : j'avance - déformation professionnelle sans doute - que l'une des premières choses à installer en Indonésie, serait de rendre accessible à tous le droit à une instruction gratuite et obligatoire, afin que l'ensemble de la population arrive à s'affranchir du joug des élites dirigeantes, souvent riches et corrompues.
Pour cela, il faudrait aussi une république laïque dirigée par des civils ! La "démocrazy" n'en est qu'à ses débuts, la corruption étant une sorte de "mode de fonctionnement institutionnalisé" (à tous les niveaux de la société) agissant comme le pire des fléaux dans ce genre de pays où le bien-être de la collectivité nationale ne semble  guère être la priorité de ses dirigeants.

En fin d'après-midi, nos hôtes nous proposent une sortie "mosquée" : en effet, en avril 2006, dans le district de Cinere à Depok, au Sud-Ouest de Jakarta, a été inaugurée la plus grande mosquée privée d'Asie du Sud-Est, Dian Masjid Al Mahri.

Nous empruntons "jalan Meruyung Raya", pas très large, en mauvais état et plutôt encombrée ; plus nous nous rapprochons de l'endroit, plus les bas-côtés de la rue s'emplissent de "warung" divers. Les "tukang becak" (conducteurs de cyclo-pousse) qui ont été chassés de la capitale depuis une trentaine d'années, stationnent aux intersections des chemins transversaux dans l'attente de clients descendus des nombreuses "oplet" (taxis collectifs) qui circulent dans le secteur. Nous atteignons enfin notre but en pénétrant dans l'enceinte paysagée d'un monument religieux pour le moins éclatant de richesses.

Les mosquées indonésiennes (mise à part, peut-être pour son modernisme, la grande Istiqlal à Jakarta)  n'avaient, jusqu'à celle-là, rien de très attirant d'un point de vue esthétique.

Nous sommes tout de suite éblouis par l'or de son dôme principal, d'autant plus étincelant qu'il reflète le soleil déjà bas sur l'horizon sur un bleu ciel assombri. La mosquée est d'ailleurs plus connue sous le nom de "Masjid Kubah Emas"  (mosquée au dôme d'or).
Elle est contruite sur un vaste domaine de cinquante hectares autrefois occupé par des rizières. Les parkings (7000m²) peuvent accueillir 300 bus ou 1400 véhicules particuliers ; ils sont aménagés dans les jardins mélangeant l'esprit moyen-oriental et la végétation tropicale indonésienne : palmiers, euphorbes, boungainvilliers, manguiers, orangers, etc., plantés à même le sol ou dans de nombreuses vasques le long des voies de circulation.

Le bâtiment religieux lui-même occupe près de 8000m² (60x120); son style diffère de ce que l'on trouve habituellement en Asie, mais ressemble plus à celui  des mosquées des pays Moyen-Orient (Perse et sous-continent indien). La silhouette du dôme principal (25m de haut et 20m pour le plus grand diamètre) rappelle d'ailleurs celle du splendide mausolée du Taj Mahal ; avec quatre autres coupoles de moindre taille (8m de haut et 7m de diamètre au milieu), les cinq piliers de l'Islam sont ainsi symbolisés.

Six minarets de forme octogonale et ceints de trois corniches, recouverts de granit gris d'Italie, s'élèvent à quarante mètres, surmontés chacun d'une petite coupole posée sur de fines colonnes. Ils représentent les 6 articles de la foi musulmane.
Tous les dômes sont recouverts de deux ou trois millimètres d'or protégé par une mosaïque de cristal d'Autriche.

Nous entreprenons de faire le tour du bâtiment ; le soleil se couche, les éclairages électriques prennent le relai des derniers rayons du "mata hari" (mot à mot "oeil du jour" autrement dit : le soleil). Faute de porter une tenue appropriée (voile pour les femmes et robe islamique pour les hommes) et qui plus est au moment où l'appel à la "sholat maghrib" (prière du crépuscule) se fait entendre, nous ne pouvons pénétrer à l'intérieur.


Les photos non-signées illustrant mon propos sont donc empruntées à des sites informatiques indonésiens : elles donnent une idée du luxe des matériaux utilisés dans la construction de ce temple musulman dans le but de magnifier la grandeur du Créateur (sic). La cour intérieure (45x57m) peut accueillir 8000 pélerins ; elle est fermée par des arcades dont les piliers sont couverts de granit du Brésil. Au-dessus de la salle de prière, le grand dôme ; à sa base un anneau doré de 33 fenêtres représente l'horizon au-dessus duquel la couleur du ciel nuageux varie en fonction de l'heure de la prière, utilisant  pour ces effets, une technologie informatique programmable. Un soleil en laiton plaqué or et couvert de calligraphies arabes "sholawat" (chant religieux ?) flamboie à son zénith. Suspendu en son centre, un lustre de 2,7 tonnes, en laiton plaqué or et lampes de cristal s'inspire, en plus modeste, de celui de la mosquée du  souverain Qaboos bin Al Said à Mascate dans le Sultanat d'Oman (8 tonnes... mazette !). Le mihrab, niche d'où l'imam dirige la prière, fait saillie dans la paroie de la mosquée indiquant la Qibla ; il est encadré de deux doubles colonnes en granit noir d'Afrique du Sud supportant une arcature dorée et calligraphiée ; le ciel d'or du demi-dôme symbolise l'Univers de la Création.

Comme il se doit dans la religion musulmane, les femmes et les hommes pénètrent à l'intérieur de la mosquée par des entrées différentes : les premières par l'arrière et les seconds par des entrées latérales. Nous finissons notre visite extérieure : le lieu de culte et les espaces verts autour du domaine sont  parfaitement entretenus.


L'indonésie s'enorgueillit de posséder un tel ensemble propre à la propagation de la foi islamique, correspondant plus à son statut de première nation musulmane du Monde et pouvoir compter sur son sol l'une des sept mosquées à dôme d'or (les six autres étant le Dôme du Rocher d'Al-Sakhrah Qubbah à Jérusalem, Al-Askari à Samarra en Irak, Suneri de Lahore au Pakistan, celle du Sultan à Singapour, celles du Sultan Omar Ali Saifuddin et Jame'Asr de Bandar Sri Begawan à Brunei) est un grand motif de fierté. L'initiative de sa construction revient à Ibu Hj. Dian Jurian Maimun Al-Rasyid dont le mari est un homme d'affaires de Serang (Banten) travaillant principalement avec le Moyen-Orient.

Le complexe est leur propriété et - pour la petite histoire - le bruit court que la  fortune de ce couple proviendrait de l'exploitation de puits de pétrole qu'un prince arabe leur aurait octroyés après qu'ils l'aient aidé à vaincre une grave maladie grâce à des remèdes traditionnels. Réalité, fiction, rumeur ou légende "alibi" pour expliquer une telle fortune ?!... aucun site Internet ne mentionne ce fait ; celui-ci m'a été rapporté de bouche à oreille, sans preuve à l'appui... à vérifier donc !  



"Masjid Kubah Emas" est le coeur d'un ensemble d'infrastructures destinées à créer un domaine de propagation de la foi islamique dans cette région (Center Yayasan Dian Al-Mahri) ; le complexe abrite aussi un centre de culture et d'enseignement religieux qui vu de l'extérieur semble très luxueux, ainsi que les ensembles d'hébergement pour les visiteurs.


Ce lieu accueille tous les jours des milliers de  touristes venus de toute l'Indonésie et des pays environnants ; l'économie locale en tire de substantiels bénéfices avec des tarifs fonciers et immobiliers en forte hausse, la création de bureaux et de commerces dans les environs, bien que les routes d'accès demandent encore de sérieux aménagements pour drainer tout le trafic engendré par cette "curiosité"  tout en même temps religieuse et touristique.

Après une courte halte désaltérante et roborative chez nos amis, nous reprenons le chemin de la demeure familiale : plus d'une heure de trajet dans les éternels embouteillages de la capitale... il est vrai que "malam minggu" (littéralement nuit du dimanche, autrement dit pour nous samedi soir) les Jakartanais sont de sortie ! 

Et il y en a qui sont de sortie en permanence, telle cette jeune femme très enceinte qui fait la manche entre les voitures en grattant les cordes d'une guitare-jouet, tandis qu'une fillette se faufile entre les voitures, époussetant les pare-brise de son plumeau maigrichon, emplissant, dans la chaleur moite ajoutée à celle des moteurs, ses poumons des émanations nocives de gaz d'échappement, avec l'espoir de glaner quelque menue monnaie nourricière. Le paradoxe de la vision des rutilantes coupoles d'or (et autres magnificences de la mosquée) et celle de la misère de la rue est un véritable crève-coeur !

Tous les fonds investis au nom du Dogme (quelle que soit l'obédience religieuse, idéologique, politique ou économique à laquelle il répond), n'auraient-ils pas meilleur dessein à amoindrir le dénuement des indigents plutôt que de faire étalage de  fastes exorbitants ? Vaste question !...