lundi 25 janvier 2010

Bukit Badung, la péninsule du Sud

Sommaire: nous vous entraînons cette fois sur la péninsule méridionale pour y découvrir:

- Taman Budaya Garuda Wisnu Kencana (album), grand projet de parc culturel pour le moment en "stand bye"

- Pura Luhur Ulu Watu (album), important sanctuaire dédié aux esprits de la mer
- Jimbaran et ses restaurants "sea-food" (album), en plein jour cette fois et très très peu de Kuta, la station balnéaire par excellence !

Nous avons passé une semaine à Wena Homestay ; au moment de régler l'addition, une mauvaise surprise nous attend. C'est un fils de la maison qui nous présente la note avec un supplément - non annoncé - de 10% de taxe. Les propriétaires, comme par hasard, ne sont pas là et toute discussion semble vaine : peut-être une petite embrouille du fils pour se faire un peu d'argent de poche ?
Nous quittons donc les lieux, déçus sur le principe (après tout ça ne représente que 4 euros), mais bon ! L'artiste-modeleur travaille à la texture de son Ganesh, en tamisant un sable très noir mais ne manque pas de nous saluer sympathiquement.
Comme Oki doit reprendre l'avion pour Jakarta le soir-même vers 18 heures, nous allons orienter nos visites du jour sur le Sud de l'île, pour être plus près de l'aéroport  Ngurah Rai.

Nous retournons dans la boutique d'objets sculptés repérée la veille, à la sortie d'Ubud. Tuti marchande plusieurs pièces ; les tarifs sont raisonnables alors nous nous laissons aller sur quelques statuettes... de quoi remplir un petit sac de voyage, en prenant soin de bien emballer nos achats.

En cours de route, Oki tient aussi à s'arrêter dans une fabrique réputée, pour acheter des petits pains fourrés au chocolat ou au fromage ; bien entendu, ce sont des Chinois qui tiennent ce genre de commerce et les clients sont nombreux. Pas de magasin, juste un guichet avec une caisse enregistreuse où l'on passe commande. On peut se rendre compte des conditions de travail des employés et d'hygiène du lieu : pas terrible ! mais les produits frais sont bons, alors... Oki commande plusieurs cartons pour rapporter à Jakarta.

Dans un premier temps, nous prenons la direction de Nusa Dua (sur la côte orientale de la péninsule de Bukit Badung que nous avons connu occupée par des villages de pêcheurs maintenant disparus au profit de grands complexes hôteliers type Sheraton, Grand Hyatt, Club Med et consorts) mais nous la quittons bientôt pour celle du Campus Udayana où Oki a un dossier à récupérer.

Enfin, nous arrivons dans un lieu qui nous est inconnu : "Taman Budaya Garuda Wisnu Kencana" (Parc Culturel Garuda Wisnu Kencana). Il s'agit là d'un projet grandiose qui a vu le jour sous le régime de "l'Ordre nouveau" du général Suharto, en 1993, à l'initiative du ministre du tourisme Joop Ave, consistant à construire un parc culturel autour de la plus grande statue du Monde, gigantesque représentation classique du dieu Wisnu chevauchant l'aigle mythique Garuda. Dans l'esprit de son créateur, le sculpteur Nyoman Nuarta, elle était destinée à devenir le symbole visuel non-musulman de l'Indonésie ; mais ce projet a rencontré de vives critiques de la part des Balinais peu enclins à accepter de l’État la création de ce site culturel quand le monde entier vient à Bali pour voir la culture balinaise.


En 2009, la construction de la statue est loin d’être achevée ; les effigies  dissociées de Garuda et Wishnu attirent apparemment peu de touristes sur le parc aux vastes dimensions (230 ha), établi dans le calcaire coralien de Bukit Ungasan, une colline culminant à 200m d'altitude, offrant un beau panorama du Sud de Bali. La crise économico-politique a certainement mis un terme à l'ambition démesurée et peu convainquante du projet... dans l'état actuel des travaux, il est peu probable que l'on puisse voir Wisnu chevaucher Garuda avant très très longtemps.

La visite du parc a tout de même quelques attraits : on peut y voir des plans, des maquettes du projet, quelques artisans, éventuellement des représentations de danses balinaises, mais surtout, les statues de Wisnu (Vishnu) et la tête de Garuda installées séparément sur leurs structures métalliques et le travail incroyable de chaudronnerie sur cuivre de ce qui devrait constituer la plus haute statue du monde.

Les caractéristiques techniques sont effectivement impressionnantes :

- la statue : hauteur 75m / envergure 62m / poids 4000t
                 matériaux cuivre-bronze et acier inaltérable (pour l'armature)
- le socle : plan carré de 100m x 100m / hauteur 78,64m pour 10 étages
               (avec galleries d'art, salles d'exposition, de réunion, de spectacles, 
                de visionnement, restaurant et terrasse panoramiques, etc, etc...)
- un parc de loisirs

On a vu grand pour le parking mais les visiteurs sont rares ; l'accès au parc lui s'effectue par des tourniquets comme dans le métro. Notre visite commence par les bâtiments contenant ébauches, plans, maquettes, historique du projet. Beaucoup de salles vides ! Un sculpteur sur bois et un bijoutier montrent leur savoir-faire aux rares visiteurs dont nous sommes. Nous gagnons ensuite l'esplanade la plus haute du domaine où Wisnu (dont la mission est de préserver l'ordre du monde) se dresse, majestueux mais manchot - dans la mythologie hindouiste indienne il est muni de quatre bras au minimum... Il est rare qu'un dieu de la religion hindoue n'ait que deux bras, mais peut-être qu'à Bali dans "l'agama hindu darhma", il en va différemment ?


Plus bas, sur une autre esplanade la partie supérieure de la monture sacrée du Dieu protecteur, elle sans ailes ; nous descendons pour voir de plus près les détails de l'aigle de bronze, Garuda. Les dimensions du parc sont telles qu'on a l'impression d'être les seuls visiteurs ce jour-là !
Nous descendons d'esplanade en esplanade, traversant quelques tranchées profondes, creusées dans le calcaire coralien, à la recherche d'un peu d'ombre ; un mémorial du souvenir dédié aux victimes des attentats terroristes se dresse ici, oeuvre en bronze du même artiste, Nyoman Nuarta.

Sur la dernière terrasse, les deux membres égarés du dieu Wisnu pointent l'index pour la main droite, l'index et le majeur pour la main gauche, vers le ciel comme une menace ou une recommandation (excusez-moi, je ne connais pas la symbolique de ces gestes dans l'Hindouisme ... si vous savez, vos commentaires seront les bienvenus). Quant aux dimensions elles ont sensiblement dans les mêmes proportions que celles de Ann Darrow dans les mains de King-Kong.
Pour sortir, nous traversons les boutiques à souvenirs, claires et aérées (on est loin des "pasar" traditionnels) qui présentent des objets classiques ou originaux, à des tarifs touristiques ; à l'extérieur, un "barong" se repose à l'ombre, attendant une hypothétique représentation et une statue de Garuda Wisnu Kencana de taille raisonnable, se pare d'une peinture vert-de-gris et or.

Dès la sortie, nous cherchons la direction de Pura Luhur Ulu Watu. Un panneau indique "Dreamland" au niveau de Pecatu Indah. Je ne connais absolument pas de quoi il s'agit et Oki se charge de m'éclairer sur le sujet : encore d'un vaste projet immobilier qui a débuté sous le régime Suharto dont la famille s'était rendu propriétaire de plusieurs centaines d'hectares de garrigue (et oui, "on dirait le Sud", le sol est aride, l'eau y est rare et la végétation broussailleuse) pour y construire hôtel, immeubles résidentiels, villas et comme il se doit, un golf avide en eau. De la route, nous ne voyons que les grands portails du domaine qu'il faut traverser pour arriver à proximité de Dreamland (Lemongkak, autrefois plage privilégiée des surfeurs en mal de sensations fortes, loin des rouleaux trop fréquentés de Kuta)...ce n'est pas ce que nous recherchons à Bali et nous passons notre chemin.

A l'ouest de la péninsule, le temple très important  d'Ulu Watu  occupe une position unique géographiquement parlant : juché sur la pointe avancée d'une falaise qui plonge abruptement dans l'écume permanente de l'Océan Indien soixante-dix mètres en-dessous, il est naturellement dédié aux esprits de la mer. Fondé au XIème siècle par un brahmane javanais, Empu Kuturan, à l'origine du système des castes, puis dernier sanctuaire de Nirartha (fondateur entre autre de Pura Tanah Lot), il mérite que l'on s'y rende rien que pour contempler le panorama .

On ne peut plus pénétrer dans la partie extrême du sanctuaire - ce qui prive le visiteur du meilleur point de vue (comme par exemple les tortues de mer que nous avions vues en 1976) mais préserve le recueillement des hindous et le patrimoine sculptural - mais on peut se promener de part et d'autre de l'édifice, sur les sentiers aménagés (et maintenant sécurisés) pour se remplir les yeux sur fond de grondement permanent des vagues se brisant au pied de la falaise et à condition de ne pas craindre la forte chaleur qui règne sur le site.

Attention ! le temple est habité par des familles de macaques gris qui ne manquent pas de vous chiper ce que vous tenez à la main si vous leur en laissez l'occasion ; on trouve d'ailleurs à l'entrée, deux ou trois marchands de bananes et de cacahuètes dans le but de distraire (et nourrir) ces bandes d'agiles petits voleurs pour les détourner de leurs intentions indélicates. Il est aussi très amusant de voir toutes les attentions et la tendresse qu'expriment ces singes dans leur cercle familial. Mais une fois encore, il faut rester sur ses gardes pour ne pas voir ses lunettes de soleil ou son appareil photo prestement disparaître dans une cache inaccessible. Je me souviens de ma fille, alors âgée de cinq ans, inconsolable après qu'un de ces macaques lui ait piqué son paquet de pop-corn pour s'en régaler sur le faîte d'un mur, devant nos yeux ébahis ! 
Il est 14h, le soleil est de plomb ; avant de reprendre la voiture, nous nous posons un moment à l'ombre, observant un groupe de lycéens indonésiens en visite qui ne peuvent s'empêcher de lancer quelques vannes à l'encontre d'un petit groupe de Coréennes très pimpantes, protégeant leur teint de cire sous le couvert de leurs ombrelles délicates... D'autres touristes munis de sachets de "kacang" (cacahuètes) se voient entourés par quelques macaques facétieux et gourmands.

Comme nous n'avons pas encore mangé, nous choisissons de retourner à Jimbaran, essayer le restaurant voisin de celui où Oki nous avait invités le soir de son arrivée. En début d'après-midi, nous sommes les seuls clients, mais les barbecues sont  en veilleuse et le personnel répond présent. Nous voyons mieux ce que nous commandons : gambas,  calamars et palourdes farcies pour accompagner le riz blanc, un peu de "kangkung" (liserons d'eau) en verdure le tout arrosé de "teh" (thé).
Nous avons l'embarras du choix pour l'emplacement : sur la plage, sous un parasol. Le repas se fait attendre malgré l'absence de clients ; il faut dire qu'il est quinze heures passées et que c'est plus l'heure de la sieste que celle du repas ! Très peu d'amateurs de bronzage (le soleil est trop brûlant à cette heure-là) à part deux couples homos : deux Japonaises (l'une très fine, l'autre genre "sumo"), et deux "bulé" (occidentaux).

Les plats arrivent : l'avantage, c'est que l'aspect visuel en plein jour ajoute à la saveur des  spécialités délicieuses, accompagnées de "sambal"  (sauces au piment) très relevés. Comme on s'attarde un peu dans ce cadre reposant, la serveuse nous apporte avec grace  l'addition tout en nous faisant comprendre que nous lui faisons faire du rab (non rémunéré !). Nous réglons la note en nous excusant et prenons la direction de Kuta, de l'autre côté de l'aéroport par rapport à Jimbaran.

Kuta ! C'est sans doute la localité qui a le plus changé en 33 ans : carrément méconnaissable ! Comment dire sans vouloir offenser personne... une enclave ou une annexe australienne, une station balnéaire comme tant d'autres ! Certes, la plage de sable pas noir qui s'étire sur 7 km est toujours superbe mais ce qui me gêne ce sont les supermarchés, les hôtels, les restaurants, les boutiques de mode, de bijoux, d'artisanat qui ont envahi ses abords : comme une overdose commerciale. 

En 1976 (nostalgie quand tu nous tiens !), il n'y avait que quelques hôtels et "losmen" (gîtes) assez sommaires, une route défoncée qui menait à la plage sous couvert des cocotiers, quelques restos et boutiques. Les routards y trouvaient leur bonheur bon marché. On pouvait même assister à des combats de coqs sur la plage et se désaltérer de jus de coco frais. Depuis, les anciens hippies se sont mis aux affaires, suivis par les riches investisseurs javanais ; en octobre 2002, l'attentat à la voiture piégée contre le Sari Club visait précisément les touristes et les intérêts occidentaux causant une grande majorité de victimes australiennes.
La faune locale n'inspire guère la confiance ; les mafias locales semblent avoir pignon sur rue. Je vous raconte.
Nous venons de garer la voiture dans le parking couvert d'un supermarché qui possède une ouverture sur la plage. Oki est parti se changer pour rentrer à Jakarta. Tuti et moi nous dirigeons vers la plage brûlante, dépassant deux gars assis sur le bord du trottoir. A peine sommes-nous passés que l'un d'eux crache dans notre dos de manière peu discrète ; je me retourne, il est clair que lui et son copain se foutent de moi. Nous allons un peu plus loin. Tuti s'occupe à envoyer des sms. J'observe le va-et-vient des touristes. Un type, cheveux plaqués par du gel, en costard blanc comme dans les films de gangsters chinois grimpe quatre à quatre les marches du grand escalier du supermarché. Oki tarde un peu ; quand il finit par nous rejoindre, les deux types de tout à l'heure s'avancent vers nous, devant, le plus costaud tous tatouages dehors, suivi comme son ombre par son collègue. Ils n'ont rien de sympathique (doux euphémisme)... mais bon, rien ne se passe quand nous les croisons (tant mieux)! Il n'empêche que Tuti et moi avons ressenti la chose : être passés tout près de l'invective, de la provocation gratuite... impression aussi bizarre que perturbante ! Nous quittons cette atmosphère d'agressivité sans plus tarder ; bien nous a pris de ne pas chercher à nous loger à Kuta, comme avions l'habitude de faire quand nous venions à Bali avec nos enfants.

Nous déposons Oki à l'aéroport avec deux heures d'avance, à sa demande. Cela nous permettra de profiter de la fin de journée pour trouver le chemin de la maison d'une amie de Tuti qui habite au Nord de Denpasar, avant la tombée de la nuit ; les directions étant si mal indiquées et la circulation  tellement encombrée que je navigue un peu au hasard, m'arrêtant à plusieurs reprises pour me repérer sur la carte. La nuit tombe vite et nous sommes obligés de demander notre route : nous passons trois fois devant l'entrée du "gang" (ruelle) recherché avant de le voir et finir par y pénétrer. Heureusement, les portables fontionnent parfaitement et Anak Ayu, la copine, peut nous guider jusqu'à son domicile.
Elle nous attend devant son portail et s'excuse de nous accueillir dans sa modeste maison ; je n'ai pas du tout l'impression qu'elle soit si modeste que ça. Nous entrons comme il se doit dans le "ruang tamu" (salon) qui en fait sont deux, richement meublés. Un peu plus loin, c'est la "ruang makan" (salle à manger) occupée par une table en bois extraordinairement massive (il doit falloir une demi-douzaine de costauds pour la déplacer !) avec les chaises assorties. Anak Ayu nous invite à déposer nos bagages dans notre chambre avec salle de bain attenante. Il fait très chaud : vive la douche-casserole !

Pour nous souhaiter la bienvenue, Anak Ayu nous invite à aller manger dans un resto de poissons tandis que son mari reste à la maison après une dure journée de labeur.
Le restaurant se trouve de l'autre côté de la ville ; nous sommes les seuls clients ; le décor est plaisant, le serveur aux petits soins, la musique d'ambiance couleur locale, les plats excellents et le jus de "jeruk" (petite orange) désaltérant.

Au retour, nous passons au "Bali Post" (le quotidien de Bali) pour rencontrer un camarade de lycée (SMA Saraswati) des deux copines qui, ce jour-là, pas de chance, est en congé. Nous reviendrons ! 
Sur le chemin du retour les deux filles ne cessent d'évoquer leur jeunesse de lycéennes, se remémorant le nom des profs et de leurs autres camarades de classe, et les inoubliables bêtises de potaches... c'était il y a quelques années

samedi 23 janvier 2010

"Bali Timur" (cap à l'Est)

Sommaire : ce chapitre nous entraînera dans l'Est de Bali, dans l'ordre suivant :

- Taman Kertha Gesa(album) à Klungkung rebaptisée Semarapura,  
- Kusamba, la recherche des exploitations traditionnelles de sel marin et Pura Goa Lawah(album),
- Tenganan(album), village d'une autre époque
- Amed(album), destination récente pour les amateurs de plongée et retour par la route  côtière.    

Nous quittons Ubud en direction de Gianyar. Mais Tuti et Oki souhaitent s'arrêter à l'Indomarket du coin ; je gare la Karimun sur le parking d'un marchand de sculptures et pendant qu'ils vont faire quelques emplettes, j'entre pour jeter un oeil à l'étalage d'objets décoratifs que l'on trouve en vente partout dans le monde.


Les statuettes présentées semblent de bonne facture. Le propriétaire vient discuter avec moi et je le complimente sur la finition des objets à la vente ; je me renseigne sur les prix tandis qu'il me précise que la marchandise est une production familiale...je suppose qu'il ne s'agit que du polissage, de la coloration et du cirage car on retrouve les mêmes objets dans toutes les boutiques de l'île ! C'est vrai que la qualité est nettement supérieure à ce qu'on avait vu au marché de Sukawati. Tuti et Oki reviennent et je quitte le marchand en lui promettant de revenir. Aimable, il me laisse repartir sans me pousser à la consommation... un bon point pour lui !

C'est dimanche, la route est tranquille. Nous arrivons à Klungkung, devenu Semarapura en 1992, du nom de l'ancien palais royal construit en 1710 et partiellement détruit en 1908 par les Néerlandais. La dynastie de Gelgel en fit la capitale de Bali, tenant les sept principautés de l'île sous sa coupe.  L'envahisseur  colonial, défait à Kusamba en 1849, finit par mettre fin au règne du dernier "raja" de Klungkung par une alliance douteuse avec son voisin et rival de Gianyar, dans un épisode guerrier tragique. C'est en 1908 que le Dewa Agung (descendant des Majapahit) choisit le "puputan" (suicide collectif) pour lui-même et ses centaines de fidèles - famille comprise - dans un affrontement "keris" (kriss) contre mitrailleuses de l'armée néerlandaises.  Le dernier royaume balinais cédait ainsi sa place à la prépondérance - peut-on dire "bienveillante" à l'égard de la culture balinaise (?) suite à ce dernier massacre - de l'occupant.


Mais revenons à notre arrivée dans Semarapura : toujours ce manque de panneaux indicateurs qui nous écarte du chemin à suivre pour arriver directement à destination. Nous parvenons enfin à nous garer sur le parking du "pasar", après un tour du "monumen puputan" (monument commémorant le sacrifice de 1908), tout près du mur d'enceinte de "Taman Gili" (jardin de l'île). Le centre ville est plutôt calme ; mon souvenir plus que trentenaire était plus celui d'une ville embouteillée, empestant les gaz d'échappement ... la nouvelle route côtière est certainement pour beaucoup dans l'atmosphère radieuse et apaisée de l'ancienne capitale du royaume.


Nous pénétrons dans ce que fut le "Semara Pura"  construit en 1710 (palais royal et ses dépendances : cours, jardins, pavillons, douves) que l'armée néerlandaise  détruisit à l'exception de "Pemedal Agung"  (porte du côté sud) et deux bâtiments heureusement préservés, le "Kertha Gosa" (salle de justice) et le "Bale Kambang"  (palais flottant). Pour compléter ce complexe appelé encore "Taman Kertha Gosa", le "Museum Semarajaya" abrite des collections d'objets et de photos, témoignages d'un glorieux passé sacrifié.
Dans l'angle Nord-Est du "taman", le Kertha Gosa est un pavillon ouvert à plan carré qui servait de salle de justice. On y accède par un escalier à rampe sculptée en forme de serpent. 


L'accueil est assuré par des statues de pierres dont le caractère fait penser à l'art chinois. En son centre, trône le mobilier doré très ouvragé des juges. Mais ce sont les peintures de style "kamasan", caractéristiques de Klunkung, qui retiennent l'attention des visiteurs ; il suffit de lever la tête pour découvrir cinq niveaux de fresques  représentant des scènes d'horreur et de tortures très imaginatives, sans doute effrayantes pour les coupables destinés à un voyage en enfer, comparativement aux scènes accueillantes du paradis placées tout au sommet du toit orné, pour finir, de quatre colombes et d'une fleur de lotus... Cette BD d'un autre temps raconte la vie symbolique des personnages mythiques, héroïques ou mauvais, que rencontre Bhima (un des personnage du Mahâbhârata) au cours de son voyage initiatique dans l'au-delà. Les peintures actuelles, mises en place dans les années 1940, en remplacement des anciennes sur tissu  détériorées, sont entretenues par les artistes du village de Kamasan.


Le "Bale Kambang", pavillon flottant, à la structure très légère, est accessible par un pont enjambant les douves verdâtres une fois franchi le portail ouvert. De nombreuses statues classiques ornent la rambarde du pont et le socle imposant du pavillon, faits de briques et de pierres entièrement sculptées. Ce dernier, de forme rectangulaire,  était la salle de repos des gardes royaux ; à l'instar du "Kertha Gosa", le plafond sous le toit de chaume noir est couvert de panneaux peints illustrant l'horoscope, le calendrier balinais ou des légendes, sur six rangées, sans les épouvantables scènes de tortures  du premier pavillon. Ce "bale" sur l'eau est une merveille.
De cette position élevée, on découvre l'ensemble des jardins et des constructions du "palais" de Klungkung.


Côté ouest, le bâtiment du "Museum Semarajaya" vers lequel nous nous dirigeons. Sur le perron, juste à l'entrée, deux "gambang kayu" (xylophones)  semblent être posés là, à la disposition des visiteurs : Oki et moi ne résistons pas à l'envie d'égrener quelques notes légères en tapotant du bout des doigts les lames en bambou. A l'intérieur, une chaise à porteurs, des vitrines exposant des costumes pour la danse, des keris, de la vaisselle... dans des cadres sous-verre des lettres mais surtout de vieilles photos des souverains et de leur famille. Il y a aussi du mobilier en bois scuplté, un métier à tisser les "songket"  (sarong brodé de fils d'or) ainsi que des explications sur les méthodes traditionnelles d'exploitation du sel de mer utilisant les troncs de cocotier ("palungan"). Enfin, un tableau représentant le "puputan" de 1908 assez émouvant (voir ci-dessus).


Nous ressortons du musée ; Tuti et Oki préfèrent s'asseoir sur la terrasse, à l'ombre, pendant que je vais faire quelques clichés de "Pemedal Agung", le très haut portail qui donnait accès au palais royal détruit par l'armée néerlandaise, côté Sud du taman. Je ne m'approche pas trop, ne voulant pas déranger la vieille balinaise en sarong en train de déposer des offrandes sur les marches, au pied de l'immense porte en bois sculpté ; encadrant l'escalier, quatre gardiens de pierre pour le moins étranges, coiffés de haut-de-forme de la Belle Epoque... surprenant et amusant à la fois !
Si l'on veut s'imprégner de l'histoire de Bali, la visite du complexe "Taman Kertha Gosa" mérite une longue halte.

Nous ne nous attardons pas plus à Klungkung pour nous diriger vers Kusamba dont le souvenir que j'ai me ramène à des images superbes de "perahu"  (bateaux à balanciers) avec les couleurs vives égayant la noirceur du sable volcanique et surtout à l'étonnante façon de recueillir le sel de mer. C'était en 1992 que nous avions découvert, un peu par hasard, une plage noire sur laquelle de nombreux bateaux de pêche reposaient à une heure sans doute trop chaude pour les sorties en mer, mais où un homme courait dans les vagues pour remplir ses deux paniers d'eau et venir en arroser par des gestes mesurés et cadencés le sable parfaitement ratissé et aplani. Nous n'avions pas très bien compris ce qu'il faisait, puis nous avions découvert juste au-dessus, en haut de la plage, plusieurs rangées de demi-troncs de cocotiers dans lesquels stagnait en plein soleil une eau plus ou moins chargée en sel. Dans certains troncs, il ne restait plus qu'une fine croûte blanche et, dans une cabane proche, des tas de sel en attente. C'est ce que je souhaitais retrouver afin de mieux comprendre ce système assez primitif d'extraction du sel.


Après plusieurs tentatives infructueuses pour retrouver le chemin d'il y a 17 ans, nous finissons par nous approcher du rivage. La Karimun garée, nous poursuivons à pied. Il doit être tout près de midi et le soleil brûle. Grosse déception, car rien ne ressemble à mon souvenir : nous arrivons sur la plage qui sert d'embarcadère aux bateaux faisant la traversée vers Nusa Penida, l'île au Sud de Bali, que l'on aperçoit au loin. Quelques ballots de diverses marchandises attendent d'être chargés à bord d'un des bateaux mauve ou vert amarrés. Quelques hommes, pas vraiment accueillants, discutent à l'ombre d'un baraquement. Il y a bien quelques "ayam jantan aduan"  (coqs de combat) dans leur "kurungan bambu" (cages en bambou tressé) alignées avec soin et, bien que le secteur soi calme, il n'y règne pas une impression de sérénité ;
nous retournons vers la voiture et - oh, surprise ! -je découvre ce que je cherchais, malheureusement pas sous la forme souhaitée : une exploitation de sel dans les troncs de cocotiers mais dans un enclos et pas directement sur la plage comme avant. Aucune activité visible si ce n'est celle de l'évaporation de l'eau de mer dans les auges de bois, laissant place aux cristaux de sel !
Que sont devenues les anciennes installations du bord de plage ainsi que les nombreux "jukung"  (bateaux de pêche à voile et balanciers) ? Sans doute l'affluence des touristes et les nouvelles infrastructures routières ont-elles complètement modifié les traditions et l'économie de la région de Kusamba.

Voici ce qu'écrivait le journal allemand "Erde" en 1998 à propos de ces modifications :
"La globalisation peut entraîner de graves problèmes pour certaines populations défavorisées. A Bali, le littoral n'est pas un espace d'habitat privilégié et ce sont donc les personnes les plus pauvres qui s'installent près des côtes afin d'exploiter les ressources de la mer. La pêche et la récolte du sel assurent de moins en moins les revenus. En revanche, la culture du varech et l'élevage des crevettes offrent des perspectives plus intéressantes, mais tout de même limitées."

C'est vrai, je suis égoïstement déçu une fois de plus, mais je dois me résigner à l'évolution inéluctable du pays...pourvu qu'elle profite à la population ! Il me reste quelques vieilles diapos et des films super-8 pour retrouver les images d'un passé révolu. A moins que nous ayons tout simplement fait une erreur de trajectoire et manquer l'immanquable, sait-on jamais !
Toujours est-il que nous repartons bredouilles pour un autre lieu sacré de Bali, un des six "Sad Kahyangan" (temples directionnels protégeant Bali des mauvais esprits)), Pura Goa Lawah, entre Kusamba et Padang Bai, au bord de la côte. Nous y sommes vite et comme pour tous les lieux touristiques, d'importants aménagements ont été faits pour le parking des visiteurs.

Le temple semble lui aussi avoir été refait à neuf ; il est toujours très fréquenté par la population locale (il a la réputation de porter chance). Très ancien (il a été fondé en 1007 par Empu Kuteran), il fait face à une grotte au pied de la falaise. Le temple en lui-même n'est pas très grand ; ce qu'il y a de plus spectaculaire, comme le nom "Goa Lawah" l'indique, la grotte des chauves-souris abrite des milliers de chéiroptères qui tapissent les paroies de la galerie s'enfonçant dans la montagne.


 Cet amas de bestioles  pullulantes et piaillantes n'incite guère à aller vérifier le bien fondé des dires balinais selon lesquels le boyau souterrain serait relié directement au "Pura Besakih", à une vingtaine de kilomètres au Nord, sur les pentes du "Gunung Agung". La grotte abriterait aussi le divin "Naga Basuki" (serpent-dragon) qui se nourrirait de ces sympathiques chauves-souris dont les excréments maculent les toits des autels environnants et imprègnent l'air ambiant d'une forte odeur fétide. En plein jour, elles ne s'aventurent pas à l'extérieur, accrochées, agglutinées au plafond de la caverne en une masse noire et grouillante de vie.


En plus de cette curiosité caverneuse, le temple est constitué de deux "meru" à sept et onze toits, quelques "bale" et de très belles portes en bois doré au sommet d'escaliers dont les rambardes en pierre sculptée représentent le "Naga Basuki". La présence d'arbres géants ceints d'une bande de tissu à carreaux noir et blanc, renforce l'idée que l'Hindouisme balinais reste très proche de la nature et la protège...enfin là où il n'y a pas  de très gros enjeux touristiques : le flux des visiteurs ne cesse de croître d'année en année draînant avec lui son triste cortège de problèmes liés à l'environnement (à lire).

En poussant plus à l'Est, un peu avant d'arriver à Candidasa, nous bifurquons sur une petite route à gauche en direction de Tenganan : quelle (mauvaise) surprise nous y attend ? Je crains le pire !
En ce début d'après-midi, à l'heure de la sieste, les abords de ce village habité par les "Bali Aga" dont l'origine remonte bien avant l'arrivée sur Bali de l'influence de l'Hindouisme javanais des Majapahit sont très tranquilles. Tenganan est le village le plus représentatif de cette civilisation d'une autre époque dont le mode de vie n'a guère changé depuis le XIème siècle. Au bout de la route qui monte légèrement dans les collines verdoyantes, un petit parking : on ne peut aller plus loin. Il donne sur les magasins de fabricants de paniers tressés en feuilles d'"ata" (sorte de paille très serrée) du plus bel effet. On entre ensuite dans le village par un passage dans le mur d'enceinte et là on découvre un monde bien différent de tout ce que l'on a pu voir précédemment.


D'abord la circulation est, en principe, interdite aux véhicules à moteur : tout semble paisible, comme si le temps s'était arrêté. Les habitations mitoyennes en pierres volcaniques sont alignées de part et d'autre de l'allée centrale, plutôt large, qui s'élève en paliers successifs pavés. Entre les deux rangées de maisons, de longues bâtisses ouvertes sur et sous lesquelles s'abritent du soleil des poules et leurs poussins, des chiens pelés et même des cochons noirs. Il y a aussi de jeunes buffles ruminant à l'ombre des arbres.


Et les habitants me direz-vous ? Discrets, même si certains ont quelques objets d'artisanat local à vous proposer : des bandes de "lontar" (BD du Ramahyana, calendriers balinais gravés au noir de fumée sur des feuilles de palmier très dures), des oeufs peints et des "kamben grinsing" (étoffes confectionnées au moyen de la technique de tissage très longue du double "ikat"). Les vendeurs de la rue n'interpellent pas les visiteurs et l'on peut librement circuler dans les maisons qui abritent des boutiques d'artisanat balinais ; le ventilateur et la lampe sont allumés pour agrémenter la visite sans pour cela être harcelé pour acheter.
Nous obtenons toutes les explications souhaitées sur la confection des différents produits ; un artiste sur "lontar" exprime ses difficultés à vivre de son art, la faiblesse de ses revenus depuis la crise de 1998 du fait de la dévaluation de la Rupiah, de la corruption qui gangrène l'économie mais, malgré tout il garde le sourire et une certaine sérénité fataliste, enviant notre chance de pouvoir voyager.


Après avoir gravi plusieurs paliers, nous traversons la bande de maisons à droite de l'allée centrale pour nous retrouver sur une deuxième allée, parallèle à la première mais beaucoup moins "urbaine", plus "kampung"  (campagne) avec la volaille qui vagabonde ici et là, des coqs de combats sous leur cage tressée dont certains colorés de teintes fluo du plus bel effet pour la parade, des arbres fruitiers et des maisons plus délabrées...il y a même une motocyclette garée à l'ombre et des cactus mêlés à des piments, sans doute pour accentuer le piquant.
En revenant à la voiture, une musique se fait entendre au loin : elle n'a rien du "gamelan selunding" propre aux "Bali Aga" mais plutôt du genre boîte de nuit en plein jour...ambiance "teuf", quoi ! A Bali, traditions et modernité font toujours bon ménage. Au bout du compte, pas de mauvaise surprise.

Décidément, je ne trouve rien d'attirant à Candidasa : c'est une succession d'hôtels et de restaurants au bord de la route côtière. Certes, la baie est magnifique et les amateurs d'activités marines et sous-marines doivent y trouver leur compte mais cette localité a été créée de toute pièce pour le tourisme, pas sans conséquences sur le littoral ; voici d'ailleurs ce que l'on peut lire sur plusieurs sites web : 
"La baie de Candidasa est une des plus belles de Bali. Elle a été un temps surexploitée. La barrière de corail a été utilisée pour faire du béton et construire des habitations. Conséquence : la plage n'a plus eu de protection et le sable a commencé à être emporté lors de marées. Depuis quelques temps, conscientes du problème, les autorités ont créé des barrières articifielles en béton. Le sable revient ainsi que les touristes." 

Pour tout dire, en 1976, il ne devait y avoir qu'un simple village de pêcheurs. Même les petits restos y pratiquent des tarifs plus élevés qu'ailleurs... aucun intérêt ! Bref, nous poursuivons notre route en direction d'Amlapura où nous faisons un bref arrêt buffet chez un "tukang sate" (marchand de brochettes).

Nous repartons en direction d'Amed, région en vogue depuis les années 90, complètement à l'Est. Au cas où l'endroit nous plairait, nous pourrions y passer les quelques jours qui nous restent à Bali.

La route est superbe avec des paysages de rizières en terrasse en contrebas, mais il faut rester très prudent car elle est aussi dangereuse avec quelques virages bien marqués.
Nous atterrissons finalement au bord de la plage d'Amed où les "perahu" reposent sur le sable et sous la menace de gros nuages orageux qui nous empêchent de profiter de la vue sur l'île de Lombok ; on en devine à peine la côte mais le "Gunung Rinjani", qui culmine tout de même à 3726 m, disparaît dans la noirceur des trombes d'eau qui s'abattent la voisine orientale de Bali.


Une famille indonésienne prend un bain de mer en pantalon et T-shirt.


Les premières gouttes annoncent une averse imminente ; d'abord quelques clichés de "perahu", puis nous réintégrons la Karimun sans avoir repéré les exploitations traditionnelles de sel de mer sur "palungan" dont la réputation a franchi les frontières de l'Indonésie auprès des chefs de la grande cuisine. Nous décidons de rentrer par la route côtière, plus au Sud. Amed sous la pluie se montre bien calme à part quelques touristes regagnant leur hôtel, trempés comme des soupes. La localité ne nous attire pas plus que ça ; peut-être pour les amateurs de pêche et de plongée...que nous ne sommes pas !

L'orage ne s'éternise pas et notre découverte de cette région plutôt aride se solde dans un premier temps par une succession de "dusun" (petits villages) dispersés le long de la côte où l'activité principale demeure la pêche pour autant qu'on puisse en juger par le nombre impressionnant de "jukung" multicolores alignés sur les plages. Les infrastructures hôtelières peu nombeuses et il faut ajouter que la route est relativement étroite et pleine de surprises. En effet, après le village de Aas, on quitte le bord de mer brutalement pour se retrouver dans un relief accidenté avec des pentes vertigineuses. L'aridité du paysage contraste avec la verdure habituelle des paysages de rizières ; il y pousse un peu de maïs, de l'arachide et quelques légumes.


Plus on s'élève et plus la forêt se densifie ; nous passons à gué un ruisseau dans lequel la jeunesse du village fait joyeusement une toilette communautaire ; des jeunes filles à la poitrine dénudée - ce qui était autrefois (heureuse époque) l'apanage des Balinaises mais que la civilisation a hélas  censurée - nous gratifient d'un beau sourire... par chance, je suis passager, et donc mon attention n'est pas requise par les aléas de la piste défoncée !
Le retour finit par traîner en longueur, surtout que nous traversons des forêts sans autre point de vue que les arbres pour satisfaire notre curiosité, avec parfois des  ornières dont les amortisseurs doivent encore se souvenir. Oki, dont ce n'est pas le premier séjour à Bali - il était venu avec des amis de son âge - n'en revient pas de découvrir tant de choses avec nous ; en fait, ses précédents passages consistaient dans la fréquentation de bars et de restaurants à clientèle occidentale, comme à Kuta et Jimbaran, tout ce que Tuti et moi évitons. Nous poussons un soupir de soulagement en retrouvant une chaussée dont l'asphalte ne nous réserve plus de sursauts tape-cul.

Nous repassons par Amlapura, Semarapura, Gianyar pour rejoindre Ubud ; la nuit est tombée, nous prenons notre repas du soir au Warung Dewa avant de rentrer nous reposer après cette longue chevauchée dans l'Est balinais.     

samedi 9 janvier 2010

Advienne que "Pura" ou la tournée des grands temples

Préambule : suivant le conseil avisé de mon ami JaK - expert en la matière - d'annoncer "la couleur" dès le début de l'article, le titre "la tournée des grands temples" signifie donc en clair qu'il sera question dans ce chapitre de la visite de trois lieux hautement touristiques (Pura Taman Ayun, Pura Ulun Danu Bratan, Pura Tanah Lot), d'un autre beaucoup moins couru (Pura Luhur Batukau), de l'incontournable parcours dans les rizières (Pemandangan sawah) dont je ne me lasse pas et, par conséquent, cinq albums personnels en lien. Pour le texte, je continuerai de faire le compte rendu du déroulement de la journée ... pour les visiteurs qui ont le temps de lire.

NB : cliquez sur (album) après Pura Ulun Danu Bratan et Pura Tanah Lot pour accéder aux photos correspondantes, autrement le lien ne s'effectue pas (une bizarrerie de l'informatique !) 



Nous quittons Ubud par les petites routes de campagne pour rejoindre Mengwi et son très beau temple - le préféré de Tuti - principal sanctuaire d'un ancien royaume local déchu de sa grandeur par ses voisins à la fin du XIXème siècle. Sans GPS, l'imprécision de notre carte et le manque de panneaux de signalisation nous conduisent à parcourir quelques kilomètres inutiles ; quand nous atteignons notre but, j'ai du mal à reconnaître l'endroit. De vastes parkings sont maintenant aménagés à proximité du temple et les "warung" sagement alignés de l'autre côté de la route. Incontestablement, de gros efforts ont été consentis dans les domaines de l'accueil des visiteurs et surtout de la propreté aux abords des sites touristiques. 
Nous nous garons aisément et passons au guichet ; le parterre spacieux et  engazonné de la cour extérieure est parfaitement entretenu. A droite le vaste "wantilan" (arène pour combats de coqs) récemment rafraîchi offre aux visiteurs la vue intérieure de sa charpente complexe soutenant son immense toit à quatre pans et à couverture végétale en "alang-alang" (paillote, Imperata cylindrica).

Aprés avoir franchi le "candi bentar" (porche d'entrée) nous voilà sur la première terrasse ; nous prenons à gauche en direction du "bale kulkul" (tour de la cloche) et entreprenons d'en gravir les marches étroites et usées. Tout en haut, deux cylindres de bois, plus ou moins évider pour mieux résonner, sont suspendus à la charpente ; ils rythment les temps forts de certaines cérémonies et servent d'alerte sonore pour la population alentours en cas de danger. La position élevée offre un panorama qui donne une idée du domaine du deuxième temple le plus étendu de Bali. Nous redescendons prudemment.

Il y a bien quelques touristes mais l'espace à visiter est suffisamment vaste pour une promenade autour de l'enceinte du sanctuaire, en toute tranquillité. On pourrait se croire sur une île, ce qui confère à l'endroit une ambiance paisible, unique. La flore aquatique, essentiellement constituée de nénuphars et de lotus roses et blancs, s'épanouit gracieusement dans ces sortes de douves, alors que de petits gazebos posés çà et là dans le parc - où il fait bon flâner - encouragent à la halte contemplative. Les sentiers ombragés du "taman" (jardin) invitent à la découverte de diverses espèces botaniques.


La promenade nous fait revenir par le côté Nord-Ouest du temple avec la vue sur l'enfilade de pagodes, aérées et aériennes, posées sur la deuxième plate-forme bordée d'un fossé en eau où s'épanouissent les lotus sacrés. Pura Taman Ayun (album)  (temple dans un beau jardin), révèle toute la richesse de l'architecture balinaise : plusieurs toits superposés appelés "Atap Meru" (le mythique mont Meru dans l'Himalaya accueille les dieux de l'Hindouisme), toujours en nombre impair, les socles des différents pavillons  abondamment ornés de sculptures, les hauts portails ouverts de brique et de pierre gardés par les statues des personnages légendaires de "Agama  Hindu Bali". Ce temple, bâti en 1634 par le roi de Mengwi (Cokorda Munggu), rénové en 1937, figure dans la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. 
Le nombre des toits de chaume noir varie de trois à onze ; ici, les trois plus élevés honorent les principaux volcans de l'île : Agung, Batur et Batukau. L'espace qui contient une dizaine de pagodes et dix-sept autres "bale" destinés à des rituels religieux particuliers, n'est accessible au public que lors d'importantes cérémonies comme "upacara odalan" (fête du temple).  Les descendants de la dynastie de Mengwi célèbrent régulièrement l'âme de leurs ancêtres dans ce temple d'Etat  familial qu'ils entretiennent.
On pouvait, il y a une trentaine d'années, circuler librement dans cette cours intérieure pour en admirer les moindres détails ; aujourd'hui, devant le flot incessant de touristes venus du monde entier, ces trésors d'architecture et de sculpture sont préservés de la désinvolture souvent irrespectueuse des visiteurs. On doit se contenter de le contempler tel un bijou dans son écrin.


Après cette visite genre "guide touristique", revenons à des considérations plus terrestres. Une envie de "kelapa muda"  (noix de coco jeune et fraîche) me saisit ; il suffit de traverser la rue à la sortie du temple pour étancher cette soif gourmande. Deux marchandes me proposent une noix à 10000 Rp et une 3ème propose 8000 Rp. Non seulement elle casse les prix mais elle trépane sans coup férir, d'un coup de "parang" (machette) précis  la noix  choisie. Je m'installe à la table de son warung et commence à déguster, à l'aide d'une paille, l'eau à peine sucrée et rafraîchissante contenue dans la coque (à ne pas confondre avec le lait de coco). Cette réserve de liquide nutritif n'en finit pas ; la marchande me propose de vider le reste dans un verre et de fendre la noix en deux afin que je puisse en déguster la tendre pulpe blanche et gélatineuse qui recouvre la paroi ... simple et délicieux ! Je ne viendrai pas à bout du liquide, largement un litre ; Tuti et Oki n'étant pas tentés ne me sont d'aucun secours : un "Teh Botol" glacé les contente.

L'Indonésie est le premier pays producteur de noix de coco ; elle est très utilisée dans la cuisine locale, mais pas seulement puisque du cocotier sont utilisés : les palmes en couverture végétale, le tronc pour la construction, ainsi que la fibre de coco et le copra pour l'huile, jusqu'à la coque qui sert aussi de combustible.


Désaltérés, nous partons pour Bedugul dans la direction de Singaraja, la grande ville du Nord. Le centre de Bali étant peuplé de volcans, la route grimpe en permanence ; elle n'est pas trés large, virageuse et, qui plus est, en travaux. La circulation est dense sur cet itinéraire de liaison Sud-Nord de l'île. Un petit camion surchargé de bonbonnes d'eau se traîne ce qui occasionne des dépassements sans visibilité dans les  courbes les plus serrées ; le plus surprenant, c'est qu'aucun accident ne se produit malgré les situations plus qu'épineuses du trafic routier : les dieux balinais sont vraiment bienveillants (!!!)
En arrivant dans le village de Candikuning, après Bedugul, la présence d'une mosquée avec l'appel à la prière semble "décallée" dans ce paysage lacustre et montagneux. La région du Nord de l'île ainsi que celle de l'Ouest font voisinner l'Hindouisme et l'Islam plus qu'ailleurs.


Autocars, minibus, quatre-quatre et autres véhicules de location voisinent également en abondance sur le parking empierré qui donne droit à l'accès au sanctuaire. Le Pura Ulun Danu Bratan(album) a la particularité d'être en partie construit sur deux îlots et de constituer un lieu touristique parmi les plus photogéniques de Bali. On accède au bord du lac de cratère Bratan par un grand portail et en traversant un jardin impeccable ; la vue sur les tours du temple à "meru" à onze et trois toits flottant sur l'eau semble irréelle. Le mysticisme du site est accentué par la présence des brumes de montagne (le lac est à 1200m d'altitude) qui  plongent les sommets environnants dans un voile de mystère.


On remarque aussi, sur la gauche, la présence d'un stupa abritant des sculptures de Bouddha dans des niches en haut de l'escalier périphérique ; c'est l'endoit le plus tranquille car, pour le reste, des centaines de touristes de tous pays s'adonnent aux joies de la photo numérique au bord du lac, prenant la pose qui immortalisera leur passage dans ce  cadre magique.
Quelques pirogues à balancier sont amarées, destinées à la location, pour les curieux qui souhaitent contempler le Pura Ulun Danu Bratan sous un autre angle et une autre lumière. Trente-trois ans auparavant, nous n'étions que Tuti et moi à profiter de ce lieu enchanteur!


Le temple hindouiste, de la même époque que celui de Taman Ayun (XVIIème siècle), est dédié à la déesse du lac "Ida Dewi Batari Ulun Danu" ; les paysans la vénèrent régulièrement lors de pélerinages et de cérémonies d'offrandes : c’est elle qui possède le rôle de régulatrice de l’écoulement de l’eau pour tous les réseaux d’irrigation du sud-ouest de Bali.
Les autres "balé" installés sur la berge sont pour la plupart dotés de sculptures  récentes ou repeints à neuf. Il reste toutefois une partie enclose, comme dans tous les temples, interdite au public.



Comme nous achevons la visite de ce lieu hindou-bouddhiste, un rayon de soleil a la bonne idée de percer la couverture nuageuse ... je ne résiste pas à revenir sur mes pas pour sacrifier à la numérisation des "meru" momentanément sous les projecteurs solaires, on ne peut plus naturels, sur fond de nuages gris et menaçants.



Après l'étude de notre carte routière, nous décidons de rallier un autre temple sacré en suivant un itinéraire hasardeux dans un "pemandangan sawah" (album). Malheureusement la couverture nuageuse nous empêche de pouvoir embrasser du regard tout le Sud de l'île. Au début, bien qu'étroite, la chaussée est très correcte ; les rizières en terrasse, à perte de vue, sont en pleine culture et le padi vert et abonnant très haut ... hélas, pas le moindre reflet du ciel dans ces milliers de miroirs potentiels ! Le paysage entre Senganan et Jatiluwih doit être magnifique avec les cultures en eau. D'ailleurs, les autorités locales exploitent de la beauté du site avec la présence d'un péage routier, uniquement pour les "bule" ; cette mane financière ne suffit cependant pas pour permettre de recouvrir la route d'une couche l'asphalte qui ne signale plus sa présence que par intermittence. 
 
Faute de panneaux indicateurs, nous navigons un peu "au feeling"; nous découvrons la campagne balinaise profonde, peuplée de paysans laborieux vivant dans des maisons  rudimentaires, sans superflu et quelques "kandang sapi"(étables). Ne sachant si nous suivons le bon chemin, nous interrogeons un passant qui nous indique que nous sommes sur la bonne voie, à une distance d'environ trois kilomètres de notre but.


Le temps nous tarde de retrouver un revêtement routier un peu plus stable et moins éprouvant pour les amortisseurs de la Karimun qui n'a rien d'un quatre-quatre. En fait de trois kilomètres, nous parcourons au moins le triple de la distance indiquée , dans un dédale de petites routes défoncées. Mais finalement nous atteignons, au bout d'une longue montée en ligne droite, après un petit village et au bout d'une voie sans issue, le Pura Luhur Batukau (album).

Ce temple constitue un des six "Sad-Kahyangan" (temples axiaux) de Bali : il représente l'Ouest et serait le plus vieux temple de Bali, dédié à sa construction au XIème siècle au roi de Tabanan. Bien que détruit en 1604, les fidèles l'ont toujours fréquenté jusqu'à sa reconstruction en 1959. Situé à l'orée de la forêt tropicale humide, à une altitude d'environ 800m sur le flanc Sud du Gunung Batukau (2271m), il nous fait plonger dans un cadre bien différent des "pura" déjà visités et dans une athmosphère mystérieuse. 


Déjà, son accès relativement inconfortable le met à l'écart des hordes de visiteurs étrangers. L'architecture classique est constituée de deux "balé" qui s'étirent en longueur et de pagodes à "meru" dont la plus haute, constituée de sept toits de chaume très noir est dédié à Mahadewa, esprit gardien de la montagne ; par contre la forêt et l'humidité lui confère une ambiance de grand recueillement. La végétation tropicale est omniprésente et l'on se sent en parfaite communion avec la nature, si chère aux Balinais. La cime des arbres semble se perdre dans les nuages tout proches et les oiseaux aux chants mélodieux n'ont aucune difficulté pour se dissimuler dans cette végétation exubérante.


Vêtus de notre sarong tenu par une ceinture de tissu nouée autour de la taille, nous grimpons le grand escalier couvert de mousse  en découvrant une flore luxuriante à côté de laquelle nos plantes vertes en pot ont l'air bien ridicules ; au retour nous passons une grille métallique ouverte qui nous permet de découvrir un petit bassin alimenté par trois fontaines à tête de dragon, dans lequel une famille prie en présence d'un "pemangku" (prête gardien du temple). Un peu plus loin, sur la surface d'un grand bassin avec une petite île symbolisant le Mahameru, les premières gouttes de pluie commencent à faire des ronds dans l'eau ; pas de doute, la fréquence des précipitations sur ce secteur est une certitude à la vue de la végétation tropicale si dense et la couverture moussue des pierres et des constructions. Nous quittons le temple sacré avant d'être trempés, direction le Sud. 

Sur la route qui descend tout le long, la circulation s'intensifie au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Tabanan, capitale régionale connue pour son centre de danse et de gamelan traditionnel mais aussi pour son environnement de splendides rizières, les plus riches de Bali. Notre but est tout autre : Pura Tanah Lot (album) au couché de soleil.

Incontournable "obyek wisata" des voyagistes, ce parfait paysage de carte postale consiste en un modeste temple formé de trois petites tours dont deux à "meru" perché sur un promontoir rocheux bousculé par les vagues et séparé à marée haute du littoral. Que reste-il de l'authenticité du site ? La route qui y mène est parfaitement carrossable, les échoppes des marchands du temple  (qui ont même prévu le distributeur de billets) ont envahi les abords avant même que l'on aperçoive l'océan, les parkings aménagés P1, P2, P3... remplacent les rizières avant la côte, plusieurs sentiers aménagés traversent des jardins au bord de la falaise avec les bancs propices aux poses photographiques, avec en arrière-plan soit l'Océan Indien, plein Ouest,  soit un complexe hôtelier (dont le luxueux Méridien Nirwana et son golf 18 trous surplombant Tanah Lot sans le moindre remords ...) bref, un lieu à éviter si l'on veut apprécier sereinement ce décor magnifique et encore plus si l'on est en quête de spiritualité !
Pourtant, pour les Balinais, le Pura reste un temple de la mer très important et vénéré, même si son socle rocheux a été entièrement reconstruit dans les années 80 parce qu'il menaçait de s'effondrer. Ils sont d'ailleurs les seuls (en principe) à pouvoir accéder au promontoir sacré.
A l'heure où nous arrivons, trouver une place devient délicat ; le soleil transparaît derrière un rideau de nuages gris et la foule des touristes est à son comble. Nous garons la Karimun tout près d'un autre petit  "pura" dominant les embruns qui viennent écumer le "Batu Bolong" (rocher percé) sur lequel il est perché.

Le site n'est pas mal non plus, mais beaucoup moins fréquenté que Tanah Lot à proprement parlé ! Il est d'ailleurs assez dangereux de s'aventurer sous le temple, d'énormes vagues viennent se fracasser en jaillissant en gerbes très hautes. Tuti, très prudente, reste en retrait , d'autant plus qu'aucune barrière ne sécurise le surplomb rocheux. Des étudiants que je suppose irianais, se font même cueillir par l'écume d'une vague plus haute que les autres et en ressortent trempés mais hilares.
Nous allons nous joindre à la foule de visiteurs, tous en quête d'un photographe occasionnel pour se faire tirer le portrait pour une carte postale "personnalisée" mais prêts, bien sûr, à vous rendre la pareille avec votre appareil...nous nous prêtons au jeu !


La construction de Tanah Lot (banque de photos) - un peu dégoûté je me suis abstenu d'en faire - daterait du XVIème siècle pour rendre hommage aux esprits de la mer ; la marée trop haute et les vagues trop puissantes rendent impossible une visite de courtoisie aux serpents sacrés qui gardent le temple à l'abri des anfractuosités du rocher. C'est sans doute pour pallier cette lacune à la visite qu'un très long Python réticulé (4 à 5m) étire  paresseusement ses écailles festonnées sur le gazon, en toute liberté.

Nous ne nous attardons pas dans ce piège à touristes, le coucher de soleil étant un peu défaillant malgré l'horizon cuivré et le grondement de la houle perturbé par le flot de paroles multilingue. Retour vers Denpasar dans des embouteillages monstres : "malam minggu" (samedi soir), c'est la fièvre !


Les véhicules arrivent de toute part, et spécialement les deux roues motorisées qui zigzaguent entre les voitures, à gauche, à droite, par-dessus, par-dessous  (j'exagère à peine), envahissant les rues et les places, partout où l'on trouve des "kaki-lima". Nous trouvons le restaurant chinois "Mie 88" dans lequel nous avions pris l'habitude, lors de nos précédents voyages, d'apprécier des plats délicieux et copieux à un prix raisonnable ; quelle déception devant des assiettes riquiqui et moyennement appétissantes ! Au moment de payer la note, une fois n'est pas coutume, Tuti se fait rouler de 12000 Rp, sans preuve (pas de note et calculette faussée ou habilement manipulée) . Le vieux chinois, propriétaire des lieux, qui lisait toujours son journal à une table du restaurant, n'est plus là pour surveiller la bonne marche de son affaire ... déçus, nous jurons de ne plus remettre les pieds dans cet établissement, c'est dit !